Le message chrétien a deux volets ou deux caractéristiques : il est la Bonne Nouvelle du Salut, que la vie ne s’arrête pas, jamais ! notre âme en tout cas ne meurt pas, nous avons été créés par Amour pour une existence impérissable, nous sommes appelés à ressusciter, dans l’Amour, pour une vie nouvelle où il n’y aura plus ni pleurs ni larmes, où Justice sera créée, les méchants punis et les bons récompensés. Ce Salut n’est pas automatique, c’est la deuxième caractéristique, le deuxième volet du message chrétien : il est exhortatif. Il fait appel à notre bonne volonté : efforcez-vous de donner la priorité à l’Amour, pour entrer dans ce bonheur éternel, au Paradis. La porte est étroite. Ce message n’est pas vendeur : il est grave, solennel comme nos messes. Il suppose du courage de la part de ceux qui le portent et ceux qui y adhèrent. Efforcez-vous : quels sont les responsables politiques qui osent dire cela ? Renvoyer chacun à ses responsabilités. C’est la troisième caractéristique du message chrétien : il est primoenthousiasmant, promesse, fondée sur l’amour, de bonheur éternel ; il est deuxiostimulant, qui suppose adhésion et participation ; il est tertioouvert, donné à chacun d’agir librement.
A la question qui lui est posée : « Seigneur, n’y a-t-il que peu de gens qui soient sauvés ? », Jésus ne répond pas directement, parce que le Salut, le bonheur éternel n’est ni une question statistique ni une affaire de probabilité. Evidemment quand vous tombez malade, les chances de guérison sont la première chose que vous regardez. Et puis, en priant, vous découvrez que vous n’êtes pas un élément de statistique, s’il n’y en a qu’un seul ce sera moi, car nous sommes uniques aux yeux de Dieu, unique, avec une seule vie comme Dieu est un seul Dieu. J’ai eu cette discussion un dimanche soir quand j’étais sur le banc devant l’église avant la messe de 20h30 : j’y suis une heure avant, avec mon chapelet, et il n’y a pas de fois où une ou plusieurs personnes ne viennent me parler, qu’elles soient en avance pour la messe ou ne fassent que passer. Un homme m’a dit quelques mots de son combat contre la maladie. Il a passé l’étape des statistiques : il découvre la richesse de sa relation personnelle avec le Seigneur.
La porte étroite est une réduction du temps : elle est étroite à mesure que le Royaume de Dieu est proche, première annonce de Jésus, à mesure que se précise le passage vers la Maison du Père. Elle n’est pas étroite au sens où il faudrait restreindre l’accès vu le nombre de places : on viendra de partout ! prendre place au festin du Royaume : oui, le Royaume ! Ce ne sont pas des milliards d’êtres humains qui vont l’encombrer. La porte est étroite à mesure que la Pâque du Christ donne sens à nos vies. Dans le film « Les vieux de la vieille » (de Gilles Grangier, de 1960, dernier film avec Pierre Fresnay), Noël-Noël éloigne le journal qu’il n’arrive plus à lire : ‘ce n’est pas la vue qui est mauvaise, ce sont les bras qui sont trop courts’.
Le risque quand on fait le mal, quand on ‘commet l’injustice’ dit l’évangile, le danger, à force de commettre des péchés, est qu’ils deviennent une deuxième peau, une gangue dont on ne cherche même plus à se débarrasser, dont on finit par s’habituer. A force de considérer normal de vivre sans Dieu, à l’époque de Jésus de se croire supérieurs aux autres peuples, pour nous aujourd’hui de nous croire plus intelligents que les générations qui nous ont précédés, à force de se mentir à soi-même, nous finissons par ne plus savoir qui nous sommes, par qui et pourquoi nous avons été créés. Nous sommes perdus ! Des brebis sans berger.
Et nous nous perdons d’autant plus facilement que nous écoutons et suivons des personnes qui sont elles-mêmes perdues, qui vont à leur perte dit l’Ecriture, à l’image du troupeau de porcs dans l’évangile où s’étaient réfugiés une légion d’esprits mauvais, et le troupeau s’était jeté du haut d’une falaise dans la mer de la mort. Nous suivons d’autant plus facilement ces insensées qu’elles sont nombreuses ! Nous n’imaginons pas qu’autant de personnes puissent se tromper, à vivre sans Dieu. Je sais que le même argument peut être retourné contre l’acte religieux. La différence se fait dans les actes et c’est sur nos actes que nous serons jugés.
Nous disons, en reprenant une formule de saint Jean de la Croix, qu’au soir de notre vie nous serons jugés sur l’amour. Je l’entends à tant d’enterrements : la personne défunte vivait comme si Dieu n’existait pas, elle n’avait pas de vie de prière, pas de pratique religieuse, pas d’engagement social, mais elle avait ‘beaucoup d’amour’ dixit sa famille et ses amis. Rendons grâce à Dieu ! Mais chaque fois que je demande : que disait-elle de la mort ? Que croyait-elle de Dieu, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob ? Comment préparait-elle sa rencontre ? Silence.
Comment voulez-vous ressusciter si vous ne croyez pas à la Résurrection ?
Je vous assure que penser à la mort, et en parler, de façon raisonnable et circonstanciée, pas forcément dans le bouleversement d’un deuil, mais à l’occasion de l’évangile, par exemple cette semaine (‘le prêtre nous a invités à parler avec nos proches de ce que nous croyons qu’il arrive après la mort : voilà ce que je crois, et toi, quelle est ton espérance ?’), sans que cela devienne obsessionnel et lassant voire exaspérant pour l’entourage, ne la fait pas venir plus vite. Je vous l’ai déjà dit et vous le redis : vous le devez à ceux qui vous aiment. Ils doivent savoir ce que vous croyez, ce que vous espérez, ce que vous souhaitez, pour que le moment venu ils ne soient pas complètement désemparés, que l’ignorance ne vienne pas s’ajouter à la peine. La douleur des proches est d’autant plus forte que la personne défunte n’a rien dit de son espérance.
Peut-être que vous ne voulez pas ressusciter. Que vous vivez comme nos dirigeants politiques dans le court terme, dans ce mouvement populiste et isolationniste dont on sait les dangers. Lisez ‘Tout est accompli’ un essai à trois voix de Yannick Haenel, François Meyronnis, Valentin Retz (chez Grasset), sur la fin des temps et le refus de Dieu. On ne pourra pas dire qu’on n’aura pas été prévenu.
Nous avons du mal à l’entendre faute de savoir faire la différence entre avertir et menacer. Quelle différence faites-vous entre une menace et un avertissement ? La différence est étroite à l’image de la porte qui sera fermée. Si vous, du dehors, vous vous mettez à tambouriner : ‘Seigneur, ouvre-nous’, il répondra : ‘Je ne sais pas d’où vous êtes’. Alors vous vous mettrez à dire : Nous sommes allés à la messe ! Nous avons communié en ta présence, écouté les lectures, mis nos enfants au Catéchisme ! Éloignez-vous de moi, vous tous qui commettez l’injustice.
Si ‘Tout est accompli’ vous semble trop long, effectivement un peu touffu, il y a un petit livre du dominicain Adrien Candiard, « A Philémon. Réflexions sur la liberté chrétienne » (Cerf 2019), qui rappelle que la Parole divine des premières pages de la Bible – ‘tu n’en mangeras pas, sinon tu mourras’, ne peut pas signifier : ‘je te tuerai’ ! Quelle idée de Dieu ! Le Seigneur ne menace personne : chacun est à soi-même sa propre menace.
Père Christian Lancrey-Javal, curé
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