Cette Semaine sainte nous avons entendu deux récits de la Passion, selon saint Matthieu dimanche dernier aux Rameaux, et selon saint Jean le Vendredi saint. Et nous avons le choix en ce matin de Pâques de lire chez l’un ou l’autre la conclusion : la Résurrection ! Le Christ est ressuscité ! Il est vraiment ressuscité !
On peut comparer ces récits, confronter les évangiles en cherchant les différences, ou en se concentrant sur l’essentiel : le Christ est ressuscité ! Alléluia ! Il est vraiment ressuscité !
Il en va semblablement de l’épreuve que nous vivons : on peut compter les morts, accuser des fautifs, opposer des points de vue, ou bien se concentrer sur l’essentiel, le soin aux malades, la mobilisation de la science, la protection des plus faibles, la solidarité du quotidien et même la préparation de l’après. Ce sont deux approches d’une même réalité, de notre vie à chacun : notre vie est un ensemble de joies et d’espoirs, de tristesses et d’angoisses, de solitudes et de rencontres.
On peut employer son énergie à limiter les dégâts, souffrir le moins possible, tromper le moins possible, ou faire le plus d’œuvres bonnes, pour parler comme Jésus : j’ai multiplié devant vous les œuvres bonnes, et quand bien même vous ne me croiriez pas, croyez en ces œuvres, afin de reconnaître que le Père est en moi et moi dans le Père (Jn 10, 37). La plus accomplie est la Résurrection. Elle est d’autant plus belle cette année qu’elle est un éclair d’amour et de lumière dans un climat d’incertitude.
A Pâques, les années précédentes, nous vivions quelque chose d’assez singulier : il y avait plus de monde aux messes le dimanche des Rameaux pour la Passion, le supplice du Christ et sa mort, qu’à Pâques pour sa Résurrection.
Il est normal qu’il y ait plus de monde à la messe à Noël qu’à Pâques. Noël est une fête de famille, paisible, consensuelle et prometteuse. On y emmène les enfants pour faire plaisir aux grands-parents. Mise à part la jalousie d’Hérode (Pilate savait que c’était par jalousie qu’on avait livré Jésus), tout est bien qui réunit autour d’un nouveau-né les anges, les bergers et les savants, les mages.
Plus étonnant est qu’il y ait plus de monde aux Rameaux qu’à Pâques. Certains disent que c’est à cause des rameaux, d’autres que le dimanche passe à la trappe quand le lundi est férié. La raison est plus profonde, qui est notre propension à nous arrêter avant la fin : nous avons du mal à aller jusqu’au bout de l’histoire. C’est la Résurrection qui est la fin de l’histoire !
Aux Rameaux, la liturgie nous place du côté de la foule, dès le début à l’acclamation initiale puis pendant tout le long récit de la Passion qui fait de nous des spectateurs, auditeurs mais spectateurs. J’ajoute que l’habitude que nous avons prise d’en répartir la lecture sur trois lecteurs pour la rendre moins monotone, avec le prêtre pour le Christ, un lecteur principal qui fait le narrateur et une troisième voix pour le reste, apôtres, gardes, peuple et grands prêtres, a pour conséquence de nous faire oublier que le texte tout entier est porté par l’Esprit de Dieu. Cette répartition en trois voix est à l’image de notre vie : la foule représente la multiplicité de nos sentiments, de nos attentes, et de nos réactions aux deux autres voix de notre mémoire et de notre foi. Les trois sont constitutives de notre vie ! Aussi bien nos émotions du moment, que la mémoire de notre passé, et notre confiance en l’avenir.
Le Vendredi saint nous méditons la Passion selon saint Jean. Cependant le tournant s’est opéré la veille, le Jeudi saint, à la célébration de la Cène, où notre assemblée est devenue celle des disciples. Elle n’est plus la foule indifférenciée mais le groupe des disciples de Jésus. Et à partir de Pâques, l’écart est encore plus éclatant : nous ne sommes plus spectateurs, nous sommes devenus Chrétiens, croyants en la Résurrection ! Nous savons qu’il y a un terme heureux à notre existence, la rencontre du Dieu vivant ! Alléluia !
Que dit la fête de Pâques ? Qu’il faut aller jusqu’au bout de l’histoire ! Tenir bon au-delà des souffrances et de la mort. « Celuiqui aura tenu bon jusqu’au bout, celui-là sera sauvé » (Mt 10, 22). Tenir bon jusqu’à la Résurrection : aller jusqu’au bout de l’histoire !
Je m’adresse à ceux qui sont tentés par le doute, l’incroyance ou le désespoir, à ceux qui se sont déjà arrêtés, parfois depuis longtemps, épuisés, dégoûtés, désespérés. Qui se sont arrêtés de croire en Dieu, de croire en l’amour : allons, levez-vous, ressuscitez ! Allez jusqu’au bout de l’histoire !
En janvier dernier, le Pape a publié son message pour la journée de la communication (qui sera cette année le dimanche de l’Ascension). C’est un appel vibrant à comprendre que notre vie est une histoire d’amour, une histoire d’amour de Dieu, une histoire d’amour les uns pour les autres, mais avant tout une histoire à laquelle le Christ donne tout son sens par sa Résurrection, lui qui est passé par la mort pour être le premier Ressuscité !
« Dans la confusion des voix et des messages qui nous entourent, nous avons besoin d’un récit humain qui parle de nous et de la beauté qui nous habite. Un récit qui sache regarder le monde et les événements avec tendresse ; qui raconte que nous faisons partie d’un tissu vivant ; qui révèle l’entrelacement des fils par lesquels nous sommes rattachés les uns aux autres.
L’homme est un être narrateur. Dès notre plus jeune âge, nous avons faim de récits comme nous avons faim de nourriture. Qu’ils soient sous forme de fables, de romans, de films, de chansons, de nouvelles … les récits affectent nos vies, même si nous n’en sommes pas conscients. Nous décidons souvent ce qui est bien ou mal en fonction des personnages et des récits que nous avons assimilés. Les récits nous marquent, façonnent nos convictions et nos comportements, ils peuvent nous aider à comprendre et à dire qui nous sommes.
L’homme n’est pas seulement le seul être qui ait besoin de vêtements pour couvrir sa vulnérabilité, mais il est aussi le seul qui ait besoin de se raconter, de “se revêtir” d’histoires pour protéger sa vie. Nous tissons non seulement des vêtements, mais aussi des récits : en effet, la capacité humaine à “tisser” conduit à la fois aux tissus et aux textes ».
C’est l’image de la Résurrection ! Pas seulement du vêtement blanc de l’Ange descendu du Ciel mais de notre corps appelé à monter au Ciel par la Résurrection et l’Ascension du Christ. Rappelez-vous la fête de la Toussaint et sa vision d’une « foule immense, que nul ne pouvait dénombrer, une foule de toutes nations, tribus, peuples et langues. Ils se tenaient debout devant le Trône et devant l’Agneau, vêtus de robes blanches, avec des palmes à la main … Ces gens vêtus de robes blanches, qui sont-ils, et d’où viennent-ils ? Ils viennent de la grande épreuve : ils ont lavé leurs robes, ils les ont blanchies par le sang de l’Agneau ».
Voilà la fin de l’histoire, qui ne s’arrête pas à la mort, qui ne se perpétue pas seulement à travers les descendants. Dieu nous a tellement aimés qu’il s’est fait l’un de nous, homme, chair et histoire, et révélé qu’il n’y a pas d’histoires humaines insignifiantes ou petites. Depuis que le Christ est ressuscité, depuis que Dieu s’est fait l’un de nous, qu’il a tout vécu de notre condition humaine, sauf le péché, chaque histoire humaine est, en un certain sens, l’histoire divine. « L’humanité mérite des récits qui soient à sa hauteur, à cette hauteur vertigineuse et fascinante à laquelle Jésus l’a élevée ».
Vous croyez en la Résurrection ? Allez jusqu’au bout de l’histoire.
Père Christian Lancrey-Javal, curé
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