Certains peintres de la Renaissance, dont les tableaux étaient inspirés des mystères chrétiens, mettaient dans leur représentation de la Crèche, un crucifix.
C’est l’image que j’avais prise à Noël comme fond d’écran de mon téléphone : une Nativité de Lorenzo Lotto, de 1525, un contemporain du Titien, avec une croix sur pied (semblable à celle que vous voyez ici sur l’autel), – au fond de la crèche. C’était l’usage de poser une croix au mur des habitations chrétiennes. On en faisait cadeau aux époux au jour de leur mariage, un crucifix à mettre au-dessus de leur lit, une façon d’annoncer la couleur.
Dans la crèche, cette croix en donne le sens : une nouvelle naissance. Nous concevons la mort ainsi comme la naissance à une vie nouvelle, commencée au jour de notre baptême. Nous avons trois naissances à vivre : à la vie physique, à la vie de grâce, à la vie de gloire. Ces trois naissances correspondent aux trois avènements du Christ : sa venue dans la chair, sa venue dans notre âme, sa rencontre au jour de notre mort. « A quoi me sert-il, disait Origène, que le Christ soit né une fois de Marie à Bethléem, s’il ne naît pas aussi par la foi dans mon âme ? ».
De ces trois venues, dans la chair, dans notre âme, à la fin des temps, laquelle est la plus importante ? La première est la plus connue, qui fait la joie du temps de Noël dans lequel cette fête de la Présentation nous replonge. Elle a changé la face de l’histoire et de l’humanité, l’universalité de Noël en est le signe. La troisième est la plus mal comprise alors qu’elle devrait concentrer nos attentes, l’idée de voir Dieu, rencontrer le Christ, voir Dieu dans son humanité glorifiée, Alléluia ! Telle est notre espérance, un ravissement de joie. Entre les deux, ce qui assure le lien de l’un à l’autre, de Noël sur terre à la Gloire du Ciel, nous cherchons la présence de Dieu ‘au milieu de nous’ : le Royaume des cieux est tout proche.
Il n’est jamais trop tard ! semblent ajouter ces deux vieillards, Syméon et Anne, à tous ceux qui pensent que le baptême serait réservé aux petits-enfants. La fête de la Présentation du Seigneur, à mi-chemin entre Noël et Pâques, quarante jours après Noël, et avant le Carême de quarante jours avant Pâques, résonne comme un avertissement adressé à nous qui avons reçu le baptême et le gardons pour nous, qui nous gardons d’annoncer le Christ et le donner comme Marie à Syméon : le Corps du Christ ! Amen ! dit Syméon.
Ces jours-ci, j’ai mis la Présentation au Temple comme fond d’écran de mon téléphone. J’ai choisi une gravure de Rembrandt plutôt que le tableau très connu de Fra Angelico. En fait j’ai mis deux Rembrandt : Syméon, vénérable et lumineux, les yeux mi-clos, de buste, l’enfant posé sur ses avant-bras, avec un personnage derrière lui qui peut être chacun de nous. Ce tableau inachevé est le dernier Rembrandt.
Et puis, parmi d’autres Rembrandt de la même scène, j’ai mis en écran de verrouillage une eau-forte dite à la manière noire où Syméon est à genoux devant le grand-prêtre et lui présente l’enfant comme l’annonce de l’offrande que le Christ fera lui-même de sa vie. Le Grand Prêtre lui dit : « Je t’adjure par le Dieu Vivant de nous dire si tu es le Christ, le Fils de Dieu ». »Tu l’as dit, dit Jésus. D’ailleurs je vous le déclare : dorénavant, vous verrez le Fils de l’homme siégeant à droite de la Puissance et venant sur les nuées du ciel »(Mt 26, 64). Alors le Grand Prêtre déchira ses vêtements et Jésus fut condamné à mort.
Chaque semaine, je prends deux images pour mon téléphone, l’une en écran de verrouillage, l’autre en fond d’écran. Pour le dimanche de la Parole de Dieu, j’avais un Caravage, l’évangéliste Matthieu qui écrit sous la dictée de l’Ange, et, le saint Jérôme de Rembrandt également inachevé, un genou à terre, poignant.
Mettre un peu de beauté dans nos fonctionnalités ! Essayez ! Allez chercher chaque semaine une ou deux œuvres en lien avec la fête ou les textes du dimanche. Je l’utilise aussi comme pénitence : aux personnes qui viennent se confesser, en particulier de se complaire d’images pornographiques, je donne comme pénitence des visites aux musées. La prochaine fois que vous serez dans une exposition, ne regardez pas pour autant les autres visiteurs comme des pénitents … Demandez vous plutôt chaque dimanche ce que vous avez vu de beau cette semaine : quelle place vous donnez à la beauté dans votre vie.
C’est le rôle des artistes de transformer la laideur en beauté. Un des Rembrandt que je préfère est une œuvre des débuts, 1535, il n’a pas trente ans, le Festin de Balthazar, tiré d’une scène du livre de Daniel. ‘Daniel’ signifie ‘Dieu est mon Juge’ : la prophétie de Syméon est une annonce du Jugement, la révélation des pensées des cœurs, le 3èmeavènement du Christ. Lorenzo, notre organiste, a tiqué en voyant le cantique de Syméon en chant d’entrée de cette messe, habitué qu’il est de le jouer à l’encensement lors de funérailles : ‘Maintenant, Seigneur, tu peux laisser ton serviteur s’en aller dans la paix’ est un parfait écho à la prière des obsèques qui dit : ‘Seigneur (la personne pour qui nous te prions) a toujours vu en ton Fils un Sauveur plein de bonté : fais qu’elle trouve en lui le Juge dont elle n’a rien à craindre ».
Le festin de Balthazar est l’opposé parfait de la Présentation au Temple.
C’est une scène horrible, un repas sacrilège où le roi Balthazar festoie avec les vases sacrés du Temple, que Nabucodonosor son père avait enlevés en profanant les lieux saints. Rembrandt orientalise la scène, habillant richement le roi d’un grand turban et un croissant de lune en boucle d’oreille. Il peint l’instant où apparaissent au mur les doigts d’une main d’homme qui tracent une inscription mystérieuse :Mené, Mené, Teqèl, Ou-Pharsine.
Les spectateurs sont pris d’effroi. Le livre, au chapitre 5 de Daniel, rapporte que sur le conseil de la reine le roi fait venir le prophète Daniel appelé Beltassar ou Abel-Nego c’est-à-dire serviteur de Dieu, pour lui donner l’interprétation de l’inscription.
Mené, c’est-à-dire compté : Dieu a compté les jours de ta vie et y a mis fin ; Teqèl, c’est-à-dire pesé : tu as été pesé dans la balance, et tu as été trouvé trop léger ; Ou-Pharsine, c’est-à-dire partagé : tout ce que tu as va être dispersé. Cette nuit-là, Balthazar fut tué.
Il n’est pas nécessaire pour festoyer ni pour s’amuser de profaner le sacré. Nous qui fêtons, avec la Présentation du Seigneur au Temple, la vie consacrée, nous savons que cet enfant, reçu par ces deux Anciens en récompense de leur fidélité, est celui qui dira trente ans plus tard : « Détruisez ce sanctuaire et en trois jours je le relèverai ». Il parlait du sanctuaire de son corps (cf. Jn 2, 21).C’est le génie de Rembrandt de le donner à voir.
Ce sont deux chemins possibles : soit se laisser aller à profaner le sacré, soit préparer la venue du Christ en transformant, avec l’aide des artistes, l’existence en beauté.
Adorer c’est contempler.
Père Christian Lancrey-Javal, curé
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