Qu’est-ce qui est le plus important dans un déjeuner ou dîner auquel on est invité ? Passer un bon moment, faire un bon repas, copieux ou équilibré ? Est-ce d’y avoir été invité, marque de reconnaissance sociale ou signe d’amitié ? Est-ce que ce sont les autres invités, les personnes qu’on découvre ou qu’on retrouve ? Le plus important n’est-il pas le Maître des lieux, notre hôte, celui qui nous a invités, dont on veut se rapprocher, se faire bien voir, même si l’expression est dépréciée ? Posons–nous la question pour la messe : la messe est un repas, un sacrifice et un repas, le repas du Seigneur, heureux les invités au repas des noces de l’Agneau.
L’évangile de ce dimanche comporte trois repas : le repas de sabbat auquel Jésus a été convié, le repas de noces de la première parabole, et dans la deuxième parabole le déjeuner ou dîner que nous pourrions à notre tour donner. Le repas de sabbat renvoie au Père, les Noces sont celles de son Fils, et l’Esprit-Saint agit en celui qui donne gratuitement.
N’est-ce pas ce que nous voudrions vivre : honorer Dieu dans sa Création, le reconnaître en chaque être humain, se laisser conduire par l’Esprit en faisant le bien ? Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement (Mt 10, 8).
Je voudrais, en ce temps de rentrée, vous livrer quelques réflexions disparates, en mode repas,entrée, plat, fromage et dessert.
Une première résolution de rentrée, pour affronter les difficultés qu’on nous annonce, seraitde fortifier notre vie dans ces trois dimensions du temps, avec le Père dans le respect de la Création, avec le Christ dans la joie de nous unir à lui, avec l’Esprit-Saint au quotidien. Le temps est supérieur à l’espace dit le Pape François, quand ce temps est sanctifié, par la messe le dimanche, par les fêtes autour desquelles l’année se déploie : le 14 septembre nous fêterons la Croix glorieuse, le lendemain Notre-Dame des Douleurs, les saints et les saintes, sainte Thérèse et saint François début octobre, jusqu’à la Toussaint, avant la préparation de Noël. Pour programmer l’année, nous ne pouvons pas nous contenter de seules fonctionnalités.
Ces rendez-vous religieux nous engagent tout entiers, pour rendre à Dieu l’honneur qui lui est dû. Définition du croyant : il rend à Dieu l’honneur qui lui est dû. Glorifiez Dieu dans votre corps (1 Co 6, 20). Lors d’un enterrement d’une quasi centenaire, en voyant les petits-enfantsprésents, je me suis demandé s’ils auraient aimé qu’on vienne habillés ainsi à leur mariage, comme à la plage, pire qu’un dimanche d’été. J’imaginai la grand-mère soulever le couvercledu cercueil et lancer : ‘Mes chéris, c’est comme ça que vous venez à mes noces éternelles ?’. Dans une parabole le roi dit à l’un des invités : “Mon ami, comment es-tu entré ici, sans avoir le vêtement de noce ?” (Mt 22, 12).
Comment se passaient ces repas dans la Bible : hommes et femmes étaient-ils mélangés ou séparés ? Les femmes en étaient-elles exclues ? La mixité qu’ils ignoraient était sociale : la séparation n’était pas tant entre hommes et femmes qu’entre riches et pauvres. Le Christ est venu tout bouleverser. Mais nous avons toujours le cœur aussi dur, étroit, « lent à croire ».
J’ai vu cet été un documentaire passionnant sur le procès fait par les joueuses américaines de football pour obtenir de leur Fédération le même traitement que les hommes. La demande est juste : Equal pay ! Chaque avancée contribue au bien commun et doit se généraliser.
Ce combat contre l’injustice et les préjugés nous intéresse d’autant plus qu’on fait grief à l’Eglise de contribuer à ces inégalités alors que le repas repose sur une juste relation et collaboration de l’homme et de la femme, que ce soit le repas de sabbat en famille, l’égalité des époux dans le mariage, ou l’attention à donner aux pauvres et aux malades, hommes ou femmes.
Je sais le point de butée, le reproche que le célébrant de la messe, le prêtre est un homme. Où est l’égalité ? Ce n’est pas lui, le maître du repas : c’est Dieu. Le prêtre représente Jésus-Christ, et il prend du pain et du vin pour actualiser le sacrifice qui nous sauve. C’est comme si le riz disait au pain : ‘moi aussi, j’aimerais bien être consacré’. Prenons la mesure de la différence qui existe entre ‘on a toujours fait comme ça’ et ‘vous ferez cela en mémoire de moi’. Ajoutons qu’il y a, à la messe, déjà une femme présente dans le chœur, la Vierge Marie. Nul ne peut avoir Dieu pour Père s’il n’a Marie pour mère, modèle de l’Eglise. Voici ta mère (Jn 19, 27).
Quelle aurait été l’excuse des invités de la parabole s’ils avaient dû se justifier de chercher lesmeilleures places, de vouloir se placer ? Ils auraient dit : ‘si ça n’avait pas été moi, cela aurait été quelqu’un d’autre’. Voilà ce que le Christ est venu corriger, en nous demandant de le suivre, lui, le bon pasteur, l’unique berger, et non pas le troupeau.
Suivons donc le Christ, qui, lorsqu’il viendra dans la Gloire, « à la résurrection des justes » –séparera les bons des méchants, « les brebis des boucs » (Mt 25, 31). Des boucs ! l’image est claire, qui nous appelle à examiner notre pratique de l’égalité.
Voilà un bon programme pour la rentrée : plus de justice par plus d’humilité. Ayez assez d’humilité dit saint Paul pour considérer les autres supérieurs à vous-mêmes (Ph 2, 3). C’est une question de balistique : les estimer supérieurs pour arriver à l’égalité. Rendre à chaque personne sa dignité, homme ou femme, pauvre ou riche, proche ou étranger, vaillant ou fatigué, – rendre à chacun sa dignité, en rendant à Dieu l’honneur qui lui est dû.
A Lui, tout honneur et toute gloire, et à chacun, sa dignité.
A Dieu la gloire, à nous l’humilité.
Père Christian Lancrey-Javal, curé
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