Pourquoi Dieu nous a-t-il créés ? Pourquoi a-t-il créé l’être humain, en insufflant son Esprit en deux grands singes, Adam et Eve, les élevant à la dignité d’êtres humains ? Il nous a créés pour mener à bonne fin la Création, pour nous confier l’Univers qu’il avait créé. Pour travailler à son Œuvre. « Lorsque le Seigneur Dieu fit la terre et le ciel, aucune herbe n’avait poussé parce que le Seigneur Dieu n’avait pas encore fait pleuvoir sur la terre, et il n’y avait pas d’homme pour travailler le sol » (Gn 2, 5). Il n’y avait pas d’homme pour travailler.
Et la parabole du fils prodigue nous montre deux types d’écart ou d’excès : celui qui ne veut pas travailler et ne pense qu’à faire la fête, et l’autre qui ne fait que travailler, y compris le jour de la fête du retour de son frère. Il n’était pas au courant ? il revenait des champs ? Il aurait de toutes façons trouvé une excuse : ces deux garçons sont deux figures inversées de la désobéissance et de la sur-obéissance. Vous ne connaissez pas ce péché de la sur-obéissance ? Ce n’est pourtant pas de ce péché dont je voudrais vous parler, mais d’un péché plus glamour : le péché écologique.
Le pape François l’a évoqué le 9 février dernier, en recevant les professeurs et les étudiants de l’Académie alphonsienne, l’institut de théologie morale des Rédemptoristes fondés par saint Alphonse de Liguori, le saint patron des confesseurs. Le Pape a constaté qu’on « s’accuse rarement d’avoir fait violence à la nature, à la terre et à la création. Nous ne sommes pas encore conscients de ce péché » qui participe de la culture du déchet qui « considère l’être humain en soi comme un bien de consommation, qui peut être utilisé puis jeté ». Au travail comme en amour. Les deux fils de cette parabole en sont deux caricatures, le puîné, évident, de consommation effrénée, le deuxième, plus retors. En quoi pèche-t-il contre la Création ? En refusant la rédemption de son frère ! Il préfèrerait le mettre au rebut. Il réagit sous le coup de la surprise plus que de la colère ? Certes. Il pourra s’excuser après-coup, prétendre que les mots ont dépassé sa pensée. Chacun comprendra que les mots ont révélé sa pensée. « Ton fils que voilà a dévoré ton bien avec des prostituées ! » : il l’a gaspillé en pure perte !
S’il existe un péché écologique, à quel commandement de Dieu ce péché s’oppose-t-il ? Est-ce que c’est au 5ème commandement sur le respect de la vie ? Ou au 7ème commandement sur l’usage de nos biens, la destination universelle des biens, qui fait que la terre appartient à tous ? Quel est le commandement de Dieu que nous violons quand nous jetons des papiers par terre, que nous laissons nos déchets en pleine nature ou des immondices dans la mer ?
Où est-ce que c’est écrit qu’il ne faut pas le faire ? Une fiancée m’avait nargué en voyant ma grimace devant les dix-neuf témoins pour son mariage : où est-ce que c’est écrit que c’est limité ? J’ai été tenté de répondre sur le même ton à cette effrontée ‘où est-ce que c’est écrit que je ne dois pas vous envoyer promener ?’ mais j’ai appliqué cette parabole où un fils demande sa part d’héritage à son père, et où un père donne ses biens à son enfant de son vivant : Où est-ce que c’est écrit qu’il ne faut pas le faire ? Rien ne l’interdit : cela doit être déclaré car c’est taxé, et les notaires mettent en garde les parents sur le risque que les enfants en fassent n’importe quoi, faute de savoir la valeur de l’argent, n’ayant pas des années de travail derrière eux. Je signale à ce sujet que la doctrine actuelle du maintien de l’ordre qui veut que, dans les manifestations et les saccages que nous connaissons depuis des mois, ‘ce ne sont que des biens’ (des commerces, des habitations, des voitures), qu’on peut laisser faire tant il n’y a pas atteinte aux personnes, est insupportable : ces biens représentent des années, et des vies entières de travail.
Un ingénieur à la retraite que j’avais connu il y a longtemps et retrouvé au baptême de ses petits-enfants est venu me consulter parce qu’il prépare son euthanasie. Venant d’atteindre un âge synonyme pour lui de déchéance, il a pris contact avec une association spécialisée pour mourir ‘dans la dignité’ – merci pour les malades ! mais, dans une démarche louable, il venait entendre un avis opposé. Je l’ai prévenu que les souffrances ne s’arrêtent pas à la mort : il a répondu qu’il n’était plus croyant. Je vous préviens quand même. Et je lui ai dit qu’il était radin. ‘Avec vos moyens financiers (il avait créé sa société), vous pourrez vous assurer le moment venu une fin de vie supportable, semblable aux soins palliatifs. Vous préférez stopper les frais pour laisser votre argent à vos enfants qui le dépensent déjà bêtement. On gardera de vous le souvenir d’un homme impatient et radin’.
Quand on est en présence d’une personne qui n’écoute que son orgueil, on n’a pas d’autre solution que de passer par son orgueil. Ça peut marcher : c’est ce que le Seigneur a fait avec moi. La conversion par l’humiliation. Depuis je prie tous les jours pour cet homme, notamment lors de la prière d’intercession de la messe du dimanche dont certains m’ont demandé le texte : « Seigneur, nous te prions pour ceux qui ne croient pas en toi, qui ne t’adorent pas, qui ne t’espèrent pas. Qu’à la lumière de l’Esprit saint et en écoutant leur cœur et leur conscience, ils aient le bonheur de te rencontrer et de te connaître, toi le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ ».
L’euthanasie est un péché écologique, une violence à la Création. Comme l’avortement, elle est économiquement motivée par le surcoût que les personnes ‘dépendantes’, – comme si nous n’étions pas tous dépendants, de Dieu ! les uns des autres ! – mais dépendantes au sens de malades, handicapées, font peser à la société. Inutiles et trop chers, on supprime. Admirable.
En fait, ce que cet homme ne supportait pas n’était pas tant l’idée d’une déchéance, que déjà son sentiment d’inutilité sociale. Lui qui avait été si actif, si productif, si rentable, se sentait inutile. Et son entourage ne se privait pas de lui confirmer. Comme tant de nos contemporains il n’avait jamais appris à ‘être’, à attendre sans rien faire, à contempler, à se reposer comme Dieu « de toute l’œuvre qu’il avait faite ». « Le septième jour, Dieu avait achevé l’œuvre qu’il avait faite. Il se reposa, le septième jour. Et Dieu bénit le septième jour : il le sanctifia puisque, ce jour-là, il se reposa de toute l’œuvre de création qu’il avait faite » (Gn 2, 2-3). Regardez ces deux frères, deux agités, chacun à sa façon. Regardez le Père qui de loin l’aperçoit et est saisi de compassion. Qui sort ensuite pour parler à l’aîné. Qui prend le temps pour chacun. Avant d’être contraires au 5ème commandement sur le respect de la vie et au 7ème commandement sur l’usage correct des biens, les péchés écologiques manquent à la base au 3ème commandement, sur l’observance du repos.
Le type même du péché écologique est l’exploitation inconsidérée des ressources naturelles, le refus de laisser la terre se reposer, de reprendre des forces, de laisser les poissons de la mer ou les arbres des forêts se renouveler en les décimant de façon folle. Le péché écologique est l’exploitation inconsidérée du potentiel humain, le dopage des sportifs, la contraception chimique, le travail forcé des enfants dans certains pays, des cadres supérieurs dans nos villes. Ils ne sont pas forcés ? Vous croyez que c’est ‘librement’ que des hommes et des femmes deviennent esclaves de leurs salaires, du profit, du stress et des responsabilités ?
On ne peut comprendre la parabole du fils prodigue sans voir la place qu’elle donne à la fête. Une fête de retrouvailles, une fête de résurrection : ‘mon fils que voilà était mort et il est revenu à la vie’. Mais aussi une fête de la Création, comme le dimanche célèbre les deux, la Création et la Rédemption. Les deux fils n’avaient rien compris à la fête. Le plus jeune imaginait qu’elle pouvait remplir sa vie. L’aîné aussi s’était mépris, qui ignorait son caractère gratuit. Cette fête, c’est le dimanche.
Une paroissienne amie, que l’âge a rendue sage, m’a donné un petit livre qui avait ébloui sa génération ‘Etoile au grand large’ de Guy de Larigaudie, « le Routier légendaire qui, le premier, par automobile, relia la France à l’Indochine, tombé au champ d’honneur en 1940 ». Voici ce qu’il écrivait juste avant-guerre, sous le titre ‘Flânerie’ :
« Au rythme lent d’autrefois, celui des saisons et des plantes, l’homme n’était ni bousculé ni broyé. Il avait, par la force des choses, le temps de se regarder vivre. Il nous faut réapprendre la flânerie. Non pas celle où l’on promène un cœur vide et une âme sans pensée. Mais la flânerie féconde qui est comme une retraite en soi-même ».
Une retraite en soi-même : « Alors il rentra en lui-même ! ». Oui, je me lèverai et j’irai vers mon Père : il est notre Père, Maître de la Création et de la Rédemption.
Père Christian Lancrey-Javal, curé
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