Il y a ceci de remarquable que le plus grand discours sacramentel de Jésus n’a pas trait au baptême mais à l’eucharistie. Il s’agit du chapitre 6 de l’évangile de saint Jean, le discours du Pain de Vie que nous allons entendre tout au long des dimanches de ce mois d’août. Discours émaillé de réactions d’auditeurs dépassés par la grandeur du propos, comme nous pouvons tous l’être à l’égard de la messe : dépassés par la grandeur du mystère de l’Eucharistie, en tout cas bien davantage que par le baptême, malgré la continuité des deux : nous avons été plongés par notre baptême dans le mystère de la mort et de la résurrection du Christ à charge pour nous de faire vivre cette grâce, de la rendre actuelle et agissante en venant le dimanche à la messe.
Le plus grand discours sacramentel de Jésus n’a pas trait au baptême mais à l’eucharistie. Les Apôtres l’ont compris qui ont choisi « d’offrir le Baptême à quiconque croit en Jésus ». Le Catéchisme précise avec le vocabulaire de l’époque : « juifs, craignants-Dieu, païens » (CEC 1226). Offrir le baptême ! Car l’Esprit Saint est le Don de Dieu.
Quand on lit le Livre des Actes des Apôtres, on voit la facilité et la rapidité avec laquelle ils baptisaient. L’eunuque de la reine d’Ethiopie se retrouve auprès du diacre Philippe qui l’a rejoint sur son char : « Voici de l’eau ; qu’est-ce qui empêche que je sois baptisé ? » (Ac 8, 37).
Le Catéchisme dit que, pour être baptisé, il suffit de croire à Jésus. Il cite cet autre passage des Actes des Apôtres, un dialogue entre saint Paul et son geôlier de la ville de Philippes : « Crois au Seigneur Jésus ; alors tu seras sauvé, toi et toute ta maison ». Le récit poursuit : « Le geôlier reçut le Baptême sur-le-champ, lui et tous les siens » (Ac 16, 31-33).
Pourquoi est-ce devenu si difficile pour les adultes qui viennent nous voir ? Pourquoi avons-nous fixé pour les adultes une durée de préparation de deux ou trois ans, qui rebute certains, en contradiction et avec le commandement de Jésus et avec la nécessité du baptême : « Allez, de toutes les nations faites des disciples, baptisez-les au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, et apprenez-leur à observer tout ce que je vous ai prescrit ».
Baptisez-les et apprenez-leur. Et non : apprenez-leur et baptisez-les. Le danger n’est-il pas que nous transformions les sacrements en diplômes, en faisant passer les connaissances à acquérir avant la grâce à recevoir ?
Le Catéchisme explique prudemment que « devenir chrétien, cela se réalise dès les temps des apôtres par un cheminement et une initiation à plusieurs étapes. Ce chemin peut être parcouru rapidement ou lentement » (CEC 1229). Combien de temps ça prend ? Un certain temps.
Quel est le critère ? Ça dépend de quoi ? Des personnes ? En réalité des époques : « Cette initiation a beaucoup varié au cours des siècles et selon les circonstances » (CEC 1230).
Pourquoi est-ce si long aujourd’hui ? Parce qu’au Catéchuménat, nous préparons moins au baptême qu’à la 1ère Communion, car les adultes reçoivent en même temps les trois sacrements de l’initiation : le Baptême, la Confirmation et la 1ère Communion. Ce qui est long est la préparation à la 1ère communion.
Et si nous changions de perspective ? Et si nous commencions par honorer le désir que Dieu a éveillé dans le cœur de ceux qui demandent le baptême, si nous les accueillions favorablement pour les baptiser dans des délais raisonnables, comme nous le faisons pour le mariage, en les accompagnant ensuite dans leur chemin de foi, pour laisser la grâce de Dieu agir en eux, et les faire grandir dans l’amour ?
Le baptême est un acte de foi, la communion un acte d’amour. Et si vous répondez ‘Amen’ oui je crois, lorsque j’annonce ‘le Corps du Christ’, Amen, oui je crois que c’est le Corps du Christ, je sais que nombre d’entre vous disent intérieurement : Mon Seigneur et mon Dieu ! dans un acte d’amour infini.
On peut avoir la foi sans avoir l’amour. Saint Paul l’a affirmé dans un des plus beaux textes jamais écrit, l’hymne à l’amour. J’aurais beau être prophète, parler au nom de Dieu, être théologien, avoir toute la connaissance de Dieu, j’aurais beau être le plus croyant de tous les hommes, avoir une foi à transporter les montagnes, si je n’ai pas l’amour, ça ne sert à rien. N’en déduisez pas que la foi serait secondaire. La foi est la foi en l’amour.
L’Eglise dans les premiers siècles utilisait le mot de mystagogie, contraction de ‘mystère’ et de ‘pédagogie’ : le mystère de la foi s’accomplit dans l’amour, se reçoit en se pratiquant. Si vous attendez de comprendre ce qui se passe à la messe pour y aller, vous passerez à côté.
Cette tension est constitutive du discours du Pain de Vie : nous allons la retrouver tout au long de ces dimanches, où les auditeurs de Jésus cherchent à mettre Dieu à leur portée. Leurs questions peuvent sembler légitime : « Rabbi, quand es-tu arrivé ici ? ». « Que devons-nous faire pour travailler aux œuvres de Dieu ? ». « Quel signe vas-tu accomplir pour que nous puissions te croire ? » … Le problème, qui explosera à la fin, est que ces questions ne viennent pas du cœur.
Ils dissocient la connaissance et l’amour. On peut être savant sans être amoureux. Le problème est actuel : tant de baptisés, persuadés d’avoir été catéchisés, surtout s’ils sont passés par l’Enseignement catholique, se disent : je connais. Ils ont une connaissance de Dieu, au sens où Dieu est pour eux une connaissance, comme on le dit de vagues relations ou de voisins. Mais il n’est pas l’Amour.
Tout le discours du Pain de Vie est construit sur « l’union indissoluble de la connaissance et de l’amour dans cette approche de la personne (le Christ) qui est la visée du suprême savoir » : Maurice Zundel a dit des choses magnifiques sur le sujet dans la retraite qu’il avait prêchée au Vatican.
La révélation chrétienne qui culmine en Jésus-Christ affirme que ce que nous n’aimez pas, en réalité vous ne le connaissez pas. C’est ainsi que le Christ peut commander d’aimer ses ennemis, ce qui signifie d’apprendre à les connaître, non pour mieux les combattre, mais pour porter sur eux le regard d’amour de Dieu. Il n’y a qu’en entrant plus avant dans la connaissance intérieure de Jésus-Christ, jusqu’à manger sa chair et boire son sang, que nous serons fidèles à l’amour. « Il est bien vrai qu’à ce niveau, disait Zundel, on connaît autant qu’on aime et qu’on ne connaît plus quand on n’aime plus ». Comme on n’aime plus quand on ne connaît plus. Pour aimer, il faut connaître.
Père Christian Lancrey-Javal, curé
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