Ce dimanche 2 mars étant le jour anniversaire de mon ordination diaconale en vue du sacerdoce, en 2003, il m’a paru le plus propice, malgré les circonstances entourant la santé du Pape, pour vous confirmer que je quitterai la paroisse à la fin de cette année scolaire. Confirmer plus qu’annoncer puisque cela aurait dû se faire l’année dernière conformément à la règle à Paris d’un maximum de douze ans pour un mandat de Curé.
Et nous fêterons ce départ au dernier dimanche de juin qui sera l’anniversaire de mon ordination sacerdotale, pour la fête de saint Pierre et saint Paul. C’est dans quatre mois : entretemps, je vous aurai communiqué le nom de mon successeur.
Je ne pars pas dans une autre paroisse : je serai à Paris pour une année off, de transition, le terme d’année sabbatique étant inapproprié car le sabbat est comme le dimanche un temps communautaire et de repos, alors que je serai dans la solitude et l’étude, une sorte d’ermite urbain, pour un plan non pas d’épargne logement, PEL, mais de Prière, Ecriture et Lecture.
La transition est une notion importante, pour nous qui croyons que la mort est une transition, un passage, une transformation dit saint Paul, et il nous faut être attentifs aux transitions de vie. J’ai recommandé aux fiancés un des très nombreux ouvrages sur le sujet : ‘Les Transitions de vie’ (Comment s’adapter aux tournants de notre existence) de William Bridges paru en 1980.
Une amie m’avait envoyé un autre best-seller plus récent, de 2020, ‘Life is in the transitions’ (Mastering Change at Any Age) de Bruce Feiler, qui a le défaut de prendre pour hypothèse que le changement est une nouveauté dans l’histoire, et que par le passé la vie était plus linéaire qu’aujourd’hui. Plus courte oui, statistiquement. Plus linéaire ? on peut en douter.
L’intérêt du premier ouvrage est d’expliquer que beaucoup de nos problèmes viennent d’une transition antérieure mal gérée, ‘mal vécue, refoulée ou trop rapide’.
Pour nous aider à vivre les grands changements qui impactent notre vie, qu’ils soient voulus ou subis, il définit trois séquences à respecter qui correspondent très exactement aux trois paraboles que nous venons d’entendre dans l’évangile de ce dimanche : d’abord une fin, en tout cas une rupture, ensuite une sorte de zone grise de transition, avant un nouveau départ.
La 1ère parabole sur le trou dans lequel tombe un aveugle quand il est guidé par un autre aveugle dit la tentation de déni devant les grands changements de notre existence, en particulier les différents passages de l’enfance jusqu’à la fin de vie. La vie est une suite de deuils, Paul Valéry disait : voir clair, c’est voir noir. Si la guérison des aveugles a une telle place dans l’évangile, c’est pour que nous ayons les yeux ouverts sur la fin de notre vie.
La 2ème parabole, de la paille et la poutre, dit la difficulté inhérente à toute transition, cette zone grise de confusion et de nostalgie, et surtout de recherche et de doute de ce qui est constitutif de notre identité, où nous sommes tentés de nous regarder dans le regard des autres.
Une des conférencières de Carême de Notre-Dame cette année sera la religieuse dominicaine Anne Lécu qui a été médecin en prison et a écrit en 2015 un beau livre de retraite de carême sur l’évangile de saint Jean, « Marcher vers l’innocence » où elle invite à retrouver le regard d’amour de Dieu sur nous.
Comme dit l’évangile de saint Marc : « Jésus posa son regard sur lui, et il l’aima » (Mc 10, 21).
La 3ème parabole est la plus rassurante, qui dit que la vie n’est pas linéaire, ni cyclique quand bien même elle est composée de saisons : la vie a un sens et surtout un but, que seule la sagesse divine nous permet d’atteindre. Jésus appelle cela porter du fruit : « que votre lumière brille devant les hommes : alors, voyant ce que vous faites de bien, ils rendront gloire à votre Père qui est aux cieux » (Mt 5, 16).
Le Psaume 102 que nous avons chanté dimanche dernier, « Bénis le Seigneur, ô mon âme, bénis son nom très saint, tout mon être ! », dit sa miséricorde : « il pardonne toutes tes offenses », son amour éternel : « il réclame ta vie à la tombe et te couronne d’amour et de tendresse », et il promet : « il comble de biens tes vieux jours : tu renouvelles, comme l’aigle, ta jeunesse » (Ps 102, 5).
Le philosophe Michel Serres affirmait (dans une vidéo facile à retrouver sur le net) qu’il y a trois façons de rester jeune, entendons tonique et joyeux. La façon la moins efficace et la plus chère, disait-il, ce sont les cosmétiques ; la deuxième, les exercices physiques, le grand air, une saine alimentation ; et il terminait en affirmant que la plus efficace et la moins chère consiste à « lire chaque jour un texte un tout petit peu plus difficile que ce qu’on arrive à comprendre. Tous les jours, écouter un raisonnement un peu difficile. Tous les jours, faire un effort intellectuel. Parce que le vrai secret de la jouvence, il est dans la tête ».
Ce qui vieillit le plus vite, si on n’y prend garde, ce sont nos facultés d’adaptation. A force de se complaire dans nos habitudes, de ne pas faire d’effort, on vieillit, quel que soit notre âge. Se confronter à plus difficile prépare à l’imprévu, et à la mort.
J’ajoute qu’il y a deux autres façons de rester jeune, véritablement chrétiennes et bibliques, « tu renouvelles comme l’aigle ta jeunesse » : l’une est de chercher Dieu, de grandir ou gagner en sagesse qui est un des noms du Christ. L’autre, corollaire, est d’être au service de ses frères jusqu’au bout de ses forces (pas de ‘retraite’ en matière de charité !).
C’est pourquoi la transition est une notion plus intéressante que le progrès, parce que le progrès s’accompagne forcément, qu’on le veuille ou non, de jugements de valeur sur le passé, qui empêchent de l’assumer. La vie est faite de changements, de transitions, et d’autant de deuils, car la plus grande transition est la mort c’est-à-dire l’entrée dans la vie divine par la rencontre du Christ.
Les trois paraboles de l’évangile de ce dimanche sont trois leçons de sagesse sur les choix de notre vie :
Qui aurons-nous suivi dans notre vie qui nous conduira à la vie éternelle ?
Quel sera le jugement que nous aurons porté sur les autres qui nous sera appliqué à nous-mêmes ? « La mesure dont vous vous servez pour les autres servira de mesure aussi pour vous » (Lc 6, 38) concluait l’évangile dimanche dernier.
Et enfin, « là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur ». Ce dernier verset suit dans l’évangile selon saint Matthieu celui que nous entendrons Mercredi prochain, d’entrée en Carême : « Ne vous faites pas de trésors sur la terre, là où les mites et les vers les dévorent, où les voleurs percent les murs pour voler. Mais faites-vous des trésors dans le ciel, là où il n’y a pas de mites ni de vers qui dévorent, pas de voleurs qui percent les murs pour voler. Car là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur » (Mt 6, 21).
La vie est faite de transitions, en langage chrétien, de conversions. Voilà une bonne transition vers le Carême. Sic transit gloria mundi, elle passe la figure de ce monde : notre trésor, c’est le Christ.
Père Christian Lancrey-Javal, curé
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