Où a eu lieu l’Ascension du Seigneur ?
Quand elle a eu lieu, nous le savons et l’avons entendu dans la 1ère lecture : « quarante jours » (Ac 1, 3) après sa résurrection, date symbolique, qui renvoie aux quarante ans au désert, aux quarante jours des tentations, symbole de renouvellement, de régénération et de nouvelle naissance puisque quarante semaines font neuf mois. Une nouvelle naissance.
Nous savons quand, mais où ? Où a eu lieu l’Ascension du Seigneur ?
La réponse se trouve à la suite du texte, quand « les disciples retournèrent à Jérusalem depuis le lieu-dit ‘mont des Oliviers’ qui en est proche » (Ac 1, 12) : l’Ascension a eu lieu au mont des Oliviers, on peut penser à Gethsémani, où Jésus avait vécu son agonie, avant d’être arrêté et livré pour sa Passion. En ce lieu il avait été enlevé, capturé par les hommes ; en ce même lieu il est enlevé au ciel pour s’asseoir à la droite de Dieu.
Le lieu est aussi important que le moment. Les deux sont inséparablement liés. Une date et un lieu.
Il en va dans l’Eglise des fêtes que nous célébrons : les fêtes dans l’Eglise obéissent à des temps et des lieux déterminés. C’est le principe de l’incarnation : un temps et un lieu donnés. Je dis ‘dans l’Eglise’ parce que cette conviction n’est plus partagée par notre époque, voire considérée comme un préjugé : nombre de nos contemporains estiment qu’on peut faire la fête n’importe où n’importe quand (et n’importe quoi n’importe comment). Vous pouvez avoir des voisins qui vous empêchent de dormir si le motif leur semble suffisant, au mépris des travailleurs et des personnes souffrantes ou malades. Quand, dans une société, le loisir et la fête passent avant le travail et la charité, on peut s’inquiéter.
Les applications sont multiples. Elles sont la raison pour laquelle l’Eglise a désormais interdit que les cendres d’un défunt soient dispersées : il faut un lieu de mémoire. Une date et un lieu.
C’est le défaut des Conférences de Carême à Notre-Dame d’utiliser un lieu sacré, un espace liturgique comme espace culturel. Il faut dire que c’est tentant, pour ceux qui veulent tout rentabiliser : d’utiliser les églises comme salles de répétition ou de conférences. L’espace est si cher dans nos grandes villes. Nous hébergions ici à Notre-Dame de Compassion un excellent chœur musical pour ses répétitions hebdomadaires : il est parti quand je leur ai demandé de commencer par un petit temps de prière pour honorer ce lieu sacré. Les Conférences culturelles de Carême devraient avoir lieu aux Bernardins et non à Notre-Dame : on ne peut pas déplorer la transformation de nos églises de campagne en restaurants ou salles de fêtes quand l’exemple est donné par l’Eglise elle-même au plus haut niveau.
Aux Bernardins, nous avons fait l’erreur il y a un mois, non pas de lieu mais de temporalité, lors de la venue du Président de la République en ne liant pas suffisamment l’événement à un calendrier, une date symbolique, en l’occurrence la fête de Pâques qui venait d’avoir lieu.
Cela aurait nécessité d’insister sur ce que l’Eglise venait de vivre avec les Chemins de Croix, le feu nouveau de la Vigile pascale, les baptêmes d’adultes, le renouvellement des promesses baptismales. On aurait alors rappelé, sans quoi notre discours bioéthique est vide de sens, le mystère de la souffrance rédemptrice, le sacrifice unique du Christ. Quelle est la spécificité et la force incomparable du discours de l’Eglise dans le domaine bioéthique, qui fait qu’elle n’est pas une ONG ? La Résurrection ! L’espérance de la Gloire ! La valeur transcendante de chaque personne. Sans oublier le Jugement final : ressuscité des morts, le Christ est « monté aux cieux, est assis à la droite de Dieu le Père tout-puissant d’où il viendra juger les vivants et les morts ». Chacun de nous rendra compte de ses choix et de ses actes, y compris en matière bioéthique. Les Apôtres interrogeaient Jésus : « Seigneur, est-ce maintenant le temps où tu vas rétablir le royaume pour Israël ? » Comprenez : où tu vas rendre à chacun ce qu’il mérite ?
Si la fête de Pâques, le mystère de notre Rédemption avait été davantage explicité, on aurait évité l’ambiguïté du discours de reconnaissance du Chef de l’Etat, dont nul ne peut dire s’il s’agit d’une reconnaissance méritée ou d’une flatterie calculée. Qu’est-ce qui permet de faire la différence entre un compliment et une flatterie ? La sincérité de la personne qui l’exprime ? Son ou ses intentions ? Non, car l’intention est hypothétique et secrète. La différence tient aux circonstances, le moment et le lieu. Le prétexte et le contexte. Une date et un lieu.
On a besoin d’occasions particulières pour féliciter quelqu’un, des dates et des lieux choisis, et lorsqu’il s’agit d’un travail, qu’il soit achevé ou qu’une étape significative soit franchie. Sinon le message flotte : pas de texte sans prétexte. Pour féliciter quelqu’un, attendez qu’il ait terminé. On aurait pu inviter le chef de l’Etat au moment du départ du cardinal Vingt-Trois.
Nous avons tous besoin de reconnaissance mais nous devons savoir de qui nous l’attendons, et surtout quand et où. Dans une conférence qu’il avait faite à l’école de la Foi à Fribourg en Suisse le 20 septembre 1976, le Père Joseph Wresisnski disait : « Ce que le pauvre veut, c’est la considération. Etre enfin considéré, estimé, honoré renouvelle sa personne, sa vie. Le problème de l’honneur est le problème crucial des pauvres, mais c’est aussi le problème fondamental de tous les enfants de Dieu. Rendre honneur à Dieu, lui rendre honneur et gloire, mais comment rendre honneur au Père, sans honorer tous ses enfants ? ». Ici encore les deux ne sont pas séparables : comment honorer l’Eglise sans rendre gloire à Dieu ?
Au jour de l’Ascension, « tandis que les Apôtres le regardaient, Jésus s’éleva, et une nuée vint le soustraire à leurs yeux. Il fut enlevé au Ciel et il fut enlevé à leurs yeux ». La chose s’était produite au jour de Pâques pour les deux disciples dans le village d’Emmaüs, au moment de la fraction du pain : « leurs yeux s’ouvrirent et ils le reconnurent. Mais il avait disparu de devant eux » (Lc 24, 31). Il disparaît de leurs yeux pour être dans leur cœur.
L’Ascension a eu lieu au Mont des Oliviers, là où Jésus avait souffert l’agonie du jugement des hommes, où il avait enduré jusqu’à la mort le jugement d’autrui. Le regard malveillant est une des plus grandes causes de souffrances et une des manifestations les plus fortes du péché. Notre sensibilité, notre vulnérabilité est variable, d’une personne à une autre, suivant notre histoire, notre éducation, notre situation sociale, mais qui peut dire qu’il n’en a jamais souffert ? C’est le regard des autres qui nous empêche de voir en chacun et d’abord en soi la grandeur et la beauté.
Fêter l’Ascension, c’est fêter la liberté de vivre sous le regard de Dieu. En faisant entrer notre humanité dans la Gloire, le Christ la libère des regards de critiques et de rejets, pour la combler de l’amour de Dieu. Seul comptera pour nous le regard du Père des cieux. Celui qui croira à la miséricorde sera sauvé.
Père Christian Lancrey-Javal, curé
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