« Rappelez-vous la femme de Loth », dit Jésus dans le premier discours eschatologique (sur la fin des temps) de l’évangile de saint Luc (Lc 17, 32), ajoutant : « Qui cherchera à conserver sa vie la perdra. Et qui la perdra (à cause de moi et de l’évangile) la sauvegardera ».
Le livre de la Genèse raconte que la femme de Loth fut transformée en colonne de sel pour avoir regardé en arrière, contrevenant l’ordre des anges (Gn 19, 26). Elle fut sidérée, en état de mort apparente, dans un état de terreur extrême. La terreur peut entraîner la panique, la violence ou la sidération : le cerveau disjoncte pour éviter l’emballement cardiaque et la mort. On reste figé, incapable de réagir ou de s’enfuir, et il faut le savoir pour ne pas l’interpréter comme un quelconque consentement, qui doit être explicite.
Cette terreur, les martyrs ne l’ont pas connue. Ils ont sans doute eu peur comme Jésus a connu frayeur et angoisse (Mc 14, 33), mais justement le Christ vivait en eux, suivant l’expression si forte de saint Paul : « C’est le Christ qui vit en moi » (Gal 2, 20).
Voilà ce que nous avons à faire pour nous préparer à Noël : aller de l’Avent, sans imaginer l’avenir en fonction du passé, pour que le Christ re-prenne naissance en nous, dans notre vie.
Que le Christ vive en nous et nous serons sauvés.
Dans un épisode que relatent les trois évangiles de Matthieu, Marc et Luc, Jésus délivre un homme martyrisé par une légion d’esprits mauvais. Ces esprits supplient Jésus, quitte à sortir de cet homme, de pouvoir entrer dans des porcs, un troupeau qui était là d’environ deux mille porcs. Il le leur permit : ils sortirent de l’homme et entrèrent dans les porcs. Du haut de la falaise, le troupeau se précipita dans la mer où ils se noyèrent (Mc 5, 13).
Nous sommes tous la proie d’esprits mauvais, de jalousie, de convoitise, de gourmandise, ils sont légion : il ne faudrait pas qu’ils nous entraînent loin de Dieu, et nous condamnent avec eux.
C’est pourquoi ce temps de l’Avent nous est donné pour que le Christ vive davantage en nous, pour qu’à Noël il prenne naissance de façon nouvelle en notre cœur.
Pour cela, au-delà des cadeaux à préparer, il y a des sacrifices à faire.
Je voudrais en rappeler le sens.
Lorsque l’évangile dit, au 1er dimanche de novembre, qu’ « aimer Dieu et aimer son prochain comme soi-même vaut mieux que toutes les offrandes et les sacrifices », ‘mieux’ ne veut pas dire remplacer.
Les Pharisiens faisaient l’inverse : ils se conformaient aux sacrifices prescrits en négligeant « ce qui est le plus important dans la Loi : la justice, la miséricorde et la fidélité. Voilà, dit Jésus, ce qu’il fallait pratiquer sans négliger le reste » (Mt 23, 23).
Cela demeure vrai : il ne suffit pas d’être gentil, tolérant ou accueillant. La bienveillance et l’amabilité ne remplacent pas le sacré, l’adoration de Dieu. Si le plus grand péché est toujours contre la charité, les deux autres n’en sont pas moins graves contre la foi et contre l’espérance.
Les offrandes et les sacrifices de l’Ancien Testament annonçaient, préparaient et préfiguraient ce que le Christ a accompli sur la Croix pour vivre en nous.
Les Livres du Lévitique et des Nombres les détaillent longuement, ces offrandes et sacrifices, entre offrandes animales ou végétales, gâteaux ou pains cuit, de fleur de farine, arrosés d’huile et de sel, pour accomplir un vœu, rendre grâce, ou à l’occasion des grandes fêtes, en sacrifices d’agréable odeur pour le Seigneur (cf. Nb 15, 3).
La distinction la plus importante, qui éclaire la Messe autant que la préparation de Noël, porte sur les trois types de sacrifice : le sacrifice de communion, le sacrifice d’expiation et le sacrifice de réparation.
Arrêtons-nous sur le sacrifice de communion, que le texte qualifie de sacrifice de paix. Il avait ceci de particulier qu’il était suivi d’un repas de fête, d’où le nom de sacrifice de communion, puisqu’en rendant gloire à Dieu nous lui demandons la grâce de la paix, ce qui est exactement ce que nous voulons vivre à Noël. La paix, l’harmonie, qui suppose souvent le pardon.
C’est la Miséricorde que je veux dit Jésus, bien plus que les sacrifices (Mt 9, 13).
Cette Parole est précédée de deux autres demandes énoncées suivant la même forme. D’abord, sur l’obéissance, dans le Livre du prophète Samuel : « Le Seigneur aime-t-il les holocaustes et les sacrifices autant que l’obéissance à sa parole ? Oui (ou plutôt non), l’obéissance vaut mieux que le sacrifice, la docilité vaut mieux que la graisse des béliers » (1 S 15, 22).
Ensuite, cette obéissance aux commandements de Dieu implique la fidélité : « C’est la fidélité que je veux plus que le sacrifice, dit le prophète Osée, la connaissance de Dieu plus que les holocaustes » (Os 6, 6). Et le Livre des Proverbes insiste : « Accomplir la justice et le droit plaît au Seigneur plus que le sacrifice » (Pr 21, 3).
Voyez comment la même formule est employée à chaque fois : l’obéissance vaut mieux que les sacrifices ; la fidélité vaut mieux que les sacrifices ; la miséricorde vaut mieux que les sacrifices. Mieux ne veut pas dire à la place.
Le plus important dans la Loi, la justice, la miséricorde, la fidélité, est ce qu’il faut pratiquer « sans négliger le reste », c’est-à-dire accepter de renoncer à ce qui ne plaît pas à Dieu, à ce qui nous divise, à ce qui nous éloigne de Lui.
Que l’Esprit-Saint nous donne cette grâce d’obéissance, de fidélité, de miséricorde, avec ce que cela implique de sacrifices, pour nous unir toujours davantage au Christ.
Pour que le Christ vive en nous et que nous soyons des témoins de son amour.
Père Christian Lancrey-Javal, curé
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