La Vigile pascale est la célébration la plus importante de toutes les célébrations de l’année pour l’Eglise catholique mais elle n’est pas sa plus grande réussite liturgique : ce n’est pas à cause de sa ré-instauration récente, qui date de 1951 par le Pape Pie XII, mais parce qu’on a voulu y mettre trop de choses. Il y a le feu nouveau qui n’est pas adapté au milieu urbain ; il y a ce nombre considérable de lectures qui vient de l’importation dans une messe d’un office de prières plus connu sous le nom de Matines ; il y a la célébration des baptêmes des adultes, leur confirmation et leur 1ère communion, ainsi que la rénovation par l’assemblée et par chaque baptisé des promesses de son baptême, et en disant cela j’hésite sur la priorité entre les deux : la rénovation des promesses baptismales ou la célébration de nouveaux baptêmes ? C’est comme si on procédait à des ordinations de prêtres au cours de la Messe chrismale ou du Jeudi saint !
Résultat ?
La célébration la plus importante de l’année est la moins fréquentée : les fidèles ne l’ont pas adoptée. « Il n’est jamais trop tard pour arrêter une erreur » : je tiens cet adage d’un homme d’entreprise, un entrepreneur qui avait le sens du vivant et du progrès. Ce n’est pourtant pas ce soir que nous allons mener cette réforme, au contraire ne boudons pas notre plaisir d’être là, ensemble, de procéder docilement à cette succession un peu touffue de rites un peu alambiqués, qui n’ont d’autre but que de reconnaître en chaque personne une part de divinité.
C’est la raison pour laquelle la célébration est nocturne : elle doit commencer après le coucher du soleil et se terminer avant l’aube. Finir avant la fin de la nuit. Oui rassurez-vous, ce sera fini avant l’aube. Pourquoi ça se passe de nuit ? Est-ce pour mieux voir les cierges et au premier chef le Cierge pascal, du Christ la lumière du monde ? Si c’était le cas, la fête des lumières qu’est la Présentation du Seigneur au Temple le 2 février devrait se célébrer de nuit.
Est-ce parce que la résurrection de Jésus Christ a eu lieu de nuit, de samedi à dimanche, du sabbat au premier jour de la semaine : mis au tombeau le vendredi, premier jour, descendu aux enfers le grand et saint Samedi, deuxième jour, il est ressuscité le troisième jour, qui commence la veille, le samedi soir. Du XIIème au XXème siècle, l’Eglise catholique a célébré Pâques à partir du samedi matin, avec un résultat incontestable en nombre de Saints et de Saintes. Oui, il est plus logique de fêter Pâques en cette nuit mais regardez, à Noël, la messe de la nuit, qui n’est d’ailleurs plus de minuit, a la même forme que celle du jour et on peut choisir entre les deux.
Qu’enseigne donc la Vigile pascale ?
Que nous n’avons pas ou nous n’avons plus à avoir peur de la nuit de la mort, car la nuit est le signe le plus naturel de la mort et du péché. Quand Jésus a été crucifié, l’obscurité s’est faite sur toute la terre. En cela la nuit de Pâques est dans la continuité de la nuit de Noël, quand la lumière est venue dans le monde et que le monde ne l’a pas accueillie : le Prologue de saint Jean est l’évangile du Jour de Noël et non pas de la Nuit.
La Résurrection du Christ vient déchirer l’obscurité de notre vie, et de nos péchés.
Parmi les fêtards, les débauchés, les oiseaux de nuit, ils sont nombreux à avoir peur de la mort, qui s’enfoncent toujours plus avant dans la fête ou la fuite, comme si on pouvait échapper à son destin : ils ressemblent aux Egyptiens qui entrèrent dans la nuit jusqu’au milieu de la mer, jusqu’au milieu de la mort. Ce passage du livre de l’Exode est la seule lecture obligatoire des sept lectures de l’Ancien Testament que la liturgie prévoit, qui plus est suivies à chaque fois d’un psaume, sept lectures qui peuvent être réduites à trois pour des raisons pastorales, avant de passer au Nouveau Testament, avec la Lettre aux Romains et l’Evangile, soit un total de neuf – on aurait quand même pu aller jusqu’à dix ?
Une seule lecture obligatoire : la traversée, de nuit, de la Mer Rouge.
Initialement j’avais prévu cette année un baptême par immersion dans une piscine que j’aurais installée au fond de l’église. Mon seul regret est la belle symbolique que constitue le changement de vêtements quand ils sortent du bain : ils sont habillés en noir, par décence, pour éviter l’effet tee-shirt mouillé, et reviennent ensuite en blanc. J’y ai renoncé non pas tant pour des raisons pratiques, pour avoir six cent litres d’eau chaude – c’est plus facile que de transformer six cents litres d’eau en bon vin comme à Cana ! – j’y ai renoncé pour la même raison qu’au moment de la consécration, lorsque je dis les paroles de Jésus du dernier repas, « il prit le pain, le rompit », eh bien je ne romps pas l’hostie et je n’ai pas le droit de le faire. La liturgie n’a pas pour mission de mimer. Nous n’avons pas à joindre systématiquement le geste à la parole, parce que la Parole de Dieu est une parole efficace : elle est parole de vie de même que son corps est pain de vie.
La Parole de Dieu suffit. Elle a suffi à Lazare pour sortir du tombeau : viens dehors. Souvenez-vous de la réponse de Jésus à Marthe : ne te l’avais-je pas dit ? renvoyant à ces passages où le Christ répète : “Si quelqu’un garde ma parole, il ne connaîtra jamais la mort”, il ne restera pas dans la mort (cf. Jn 8, 51-59).
Que se passe-t-il en cette nuit de Pâques ?
Nous vivons l’accomplissement de la promesse de Dieu, de ce que le Christ a révélé tout au long de sa vie, jusque dans les paraboles, dans la parabole des vierges folles et des vierges sages : « Dans la nuit, un cri retentit : “Voici l’époux ! Sortez à sa rencontre” » (Mt 25, 6). Ces vierges sont nos âmes mes amis, vous qui allez recevoir le baptême, nous qui allons en renouvelant nos promesses le faire vivre de nouveau en nous, retrouver ainsi la virginité de notre âme, toute belle, parée pour recevoir le Christ Jésus.
Je n’ai pas le droit de m’arrêter là. Oui, la parole de Dieu suffit, mais elle suffit pour mettre en mouvement. Sur l’ordre de Jésus, l’aveugle-né est allé laver ses yeux à la piscine de Siloé, l’apôtre Pierre a jeté les filets, et Lazare est sorti du tombeau pour que ceux qui étaient là le voient et le délient : déliez-le. La parole de Dieu suffit pour mettre en mouvement, pour redonner la vie, pour remettre en route tous ceux qui l’auront accueillie. Au sacrement du baptême, nous tenons étroitement uni le sacrement de la confirmation où Dieu confirme, confirme quoi ? le don de l’Esprit ? Non il confirme qu’il est et il sera toujours avec nous et qu’il suffit pour nous de rester avec lui. Mes amis, vous êtes ici, nous sommes ici parce que nous avons entendu ce cri dans la nuit, le cri de Jésus sur la croix dans la nuit de nos péchés, le cri de l’Esprit qui dit : Viens ! Viens Seigneur nous délivrer de la mort, nous délivrer de nos peurs, viens nous délivrer de la nuit. Et nous savons maintenant que ce cri est un cri de louange, un cri de joie : Alléluia !
Père Christian Lancrey-Javal, curé
Vous avez la possibilité de recevoir les homélies du Père Lancrey-Javal en remplissant ce formulaire