18ème dimanche du temps ordinaire - 4 août 2024

Jn 6, 24-35

 

Il y a trois signes que nous sommes vivants, qu’on est encore en vie en ce monde : ce sont nos objections, nos contradictions et nos frustrations. Quand on n’en a plus, c’est qu’on est mort.Jai parlé des objections dimanche dernier à propos des miracles de Jésus, de la multiplication des pains. Je parlerai dimanche prochain de nos frustrations.

Voyons nos contradictions dont nous avons un bon exemple dans l’évangile où les auditeurs de Jésus veulent « de ce pain-là toujours », alors qu’ils partiront avant la fin, les uns après les autres, quand Jésus leur dira : « il y en a parmi vous qui ne croient pas ».
Et le texte d’ajouter : « Jésus savait en effet depuis le commencement quels étaient ceux qui ne croyaient pas, et qui était celui qui le livrerait » (Jn 6, 64). Judas est l’homme de toutes lescontradictions dans ce à quoi elles peuvent aboutir de pire. Peut-être dirait-on aujourd’hui qu’il y avait une partie de lui qui était bonne et sincère et qu’il était clivé’ ou ‘dissocié’, comme si cela diminuait sa responsabilité et la gravité de sa trahison.

 C’est une attitude extrême car nos contradictions sont ce qu’il y a de plus banal dans notre humanité marquée par le péché dès l’origine. Car quand bien même nous avons été délivrés du péché originel par le baptême, les ‘séquelles’ demeurent, qui ‘repoussent’ quand nous nous éloignons de Dieu.

 Nos contradictions sont une des conséquences du péché originel.

 Saint Paul en a livré la plus puissante description : « Je ne fais pas le bien que je voudrais et je fais le mal que je ne voudrais pas » (Rm 7, 19). Malheureux homme que je suis !

 Le texte littéral porte : « Je ne fais pas le bien que je voudrais, mais je commets le mal que je ne voudrais pas ». Le texte grec et le latin utilisent deux verbes différents, en latin facere pour le bien (qui a donné faire), et agere pour le mal (qui a donné agir). Le verbe ‘faire’ est celui que Jésus utilise quand il dit : « Sans moi vous ne pouvez rien faire » (Jn 15, 5) sous-entendu de bien (sine me nihil potestis facere).
Nous pouvons agirà notre guise et à nos risques, mais, seuls, sans la grâce, nous ne pouvons rien faire de bien avec et pour les autres.

 L’individualisme est à cet égard le sommet de la contradiction humaine, quand on cherche às’affranchir des autres pour obtenir leur reconnaissance, et leur secours dès qu’on en a besoin.

 Combien de fois ai-je entendu, lors de la préparation d’obsèques, des proches évoquer les contradictions du défunt, la plus fréquente étant de se dire croyant et n’avoir aucune pratique, la plus navrante étant de prétendre aimer et ne jamais le montrer, pas une attention, pas une parole aimable, pas un cadeau, pas un compliment.

 Car la contradiction ne se réduit pas à sa définition logique, qui consiste à dire une chose et son contraire. Elle consiste à ne pas mettre ses actes et ses paroles en accord avec son cœur, sa pensée, ses convictions, et typiquement, comme Jésus le reproche aux Pharisiens, à dire et ne pas faire : « ils disent et ne font pas » (Mt 23, 3).

 C’est malheureusement notre attitude à l’égard de la Création : nous sommes tous d’accord qu’il faut la respecter et la préserver, dans son intégralité, y compris voire à commencer par la vie à naître ou encore la différence entre l’homme et la femme.
Et nous ne faisons pas ce qu’il faudrait, en agissant de façon incohérente. C’est un autre mot pour contradiction : incohérence.

 De quelle façon cette faiblesse peut-elle devenir une force ?

 Car elle peut être une force : de même que nous devons à saint Thomas d’Aquin, le théologien, l’utilisation géniale de l’objection dans la Somme Théologique (le ‘Sed contra’), nous devons à Hegel, le philosophe, l’utilisation non moins géniale de l’antithèse, la forme la plus magnifique de la contradiction, dans le processus dialectique.

Il est beau de voir tout au long de l’évangile de quelle façon Jésus met ses auditeurs devant leurs contradictions : « Ce n’est pas Moïse qui vous a donné le pain venu du ciel ; c’est mon Père qui vous donne le vrai pain venu du ciel ».
Dans l’évangile de saint Marc, après la multiplication des pains, les disciples s’écharpent entre eux parce qu’ils « avaient oublié d’emporter des pains : ils n’avaient qu’un seul pain avec eux dans la barque » (Mc 8, 16). sus les arrête : « Vous ne saisissez pas ? Vous ne comprenez pas encore ? Vous avez des yeux et vous ne voyez pas, vous avez des oreilles et vous n’entendez pas ! Vous ne vous rappelez pas ? ».

Deux mille ans plus tard, nous ne sommes guère plus cohérents.

Cet été, prenons le temps de contempler et d’adorer le Créateur dans sa Création. Quel sens y-a-t-il à admirer la Création sans adorer le Créateur ? Essayons dans la prière d’aller plus loin en reconnaissant les manques de cohérences dans notre vie, dans nos relations à ceux que nous aimons, le temps passé, l’expression de notre affection, l’attention et l’écoute de leurs attentes.

Déjà repartons de la Création. Ecoutons la voix de notre cœur et de notre conscience qui nous dit que cela vient de Dieu. Que ces merveilles nous sont confiées pour que nous en prenions soin. C’est Lui notre Dieu qui nous a créés, qui nous a donné la vie et qui nous nourrit, c’est lui qui nous commande de nous nourrir les uns les autres, pour que, comme avec la manne au désert, chacun ait ce dont il a besoin, ni trop ni trop peu.
Ni trop ni trop peu. La juste mesure est la meilleure façon de sortir de nos contradictions en se laissant guider par l’Esprit-Saint. Sans moi dit Jésus vous ne pouvez rien faire de bien.

On peut dire de nos contradictions ce que Jésus dit de certains désordres : On ne peut en sortirque par la prière (Mc 9, 29).
Après s’être exclamé : « Malheureux homme que je suis ! », saint Paul poursuit : « Qui me délivrera de ce corps qui m’entraîne à la mort ? » (Rm 7, 24). Qui nous délivrera de nos contradictions ?
Le Prologue de saint Jean que nous entendions naguère à la fin de chaque messe donne la réponse : « La Loi fut donnée par Moïse » (la loi, objet de tant de contradictions), « la grâce et la vérité sont venues par Jésus Christ ».

Qui nous délivrera de nos contradictions ?
On ne peut en sortir que par la prière.
Par Jésus le Christ, notre Seigneur. Amen !

Père Christian Lancrey-Javal, curé

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