A quel âge Jésus a-t-il commencé à parler ?
Vous vous dites en ce jour de Noël : c’est un bébé ! Et vous avez raison. Ce n’est pourtant pas ainsi que nous le représentons dans la crèche, plutôt comme un nourrisson (« enfant qui a entre 29 jours et deux ans » selon le dictionnaire), souriant, les yeux grands ouverts, dodu et reposé. Un bébé ne parle pas : il est enfant, in-fans, infantis, qui n’a pas l’usage de la parole, qui ne-parle-pas.
Et pourtant, Celui-ci est le Verbe de Dieu, le Verbe fait chair : le mot figure à cinq reprises dans le Prologue de saint Jean, l’évangile de ce jour de Noël. Il est la Parole éternelle du Père. Comment concilier sa divinité, qui le rend capable de parler distinctement dès sa naissance, car rien n’est impossible à Dieu, et son humanité qui fait qu’il a tout connu de notre condition, la faim, la fatigue, la joie, les conversations et les silences ?
La divinité de Jésus était parfaite dès sa naissance : il ne devient pas Dieu à sept ans, à l’âge de raison, n’en déplaise aux rationalistes. Il ne devient pas plus Dieu à la puberté, n’en déplaise aux machistes. Il est Dieu dès le premier instant de sa conception dans le sein de Marie. Sa divinité est préalable à son humanité, sinon il ne serait pas vrai Dieu et vrai homme. Jésus est Dieu de toute éternité et il est homme de toute notre humanité, excepté le péché. Et le fait de ne pas pouvoir parler n’est pas un péché. C’est généralement le contraire qui l’est, de trop parler, ou de mal parler, les uns des autres. En ce jour béni, essayons de ne dire que du bien.
Avant de parler, Jésus a commencé par écouter, regarder, observer, contempler, admirer. Il a admiré ses parents, et nous aussi : nous admirons Joseph et Marie. Ils font partie intégrante de la joie de Noël. Le bonheur de Dieu dans la crèche est de voir le regard de Marie et Joseph sur lui et entre eux. En cet instant, il ne parle pas, au sens du langage articulé : il ressent. Il entend et il attend.
Pour que nous apprenions à aimer, Dieu nous a donné, avant le langage, avant la pensée : le temps. C’est la condition de l’écoute et le chemin d’apprentissage de l’amour. Vous vous connaissez depuis combien de temps ? La réponse est une indication de l’affection qui nous lie : un ami de dix, vingt, trente ans, qui fait partie de ma vie.
Le temps est un ami, qui peut nous trahir comme tout ami, mais c’est un ami : le temps est une créature de Dieu. Dans la nuit de Pâques, lors de la bénédiction de l’eau, nous disons à Dieu : « l’eau, ta créature ». C’est trop rarement ainsi que nous la concevons, hélas, car nous en serions plus respectueux. Nous devrions de la même manière nous habituer à penser et à prier : « le temps, ta créature ». Cela changerait notre façon de vivre si nous ne concevions plus le temps comme un capital à dépenser, mais comme un compagnon à respecter.
Le respect de Dieu pour le temps est sa patience. Pour Jésus nouveau-né, comme pour tout enfant, la précocité n’est pas un critère. Nous avons tous été émerveillés par des enfants prodiges, et c’est un fantasme de certains parents que leur enfant s’affranchisse du temps. La précocité n’est pas un critère car la créativité comme la sagesse nécessite un long processus d’écoute et d’assimilation : une maturité.
Tout l’évangile montre Jésus attentif au monde et aux personnes, prenant le temps d’observer et d’écouter. « L’homme prend son temps et Dieu prend le temps de l’homme ».
Le maître-mot de l’Histoire n’est pas rapidité. Après la libération de l’esclavage en Egypte, le don de la Loi à Moïse, à l’Horeb, l’entrée en Terre promise avec Josué vers 1200, la royauté de David vers l’an 1000, la construction du Temple par Salomon, sa destruction en 586 suivie de l’Exil jusqu’à l’édit de Cyrus en 538, et la venue du Messie que nous célébrons en ce jour, il a fallu des siècles, pendant lesquels – que s’est-il pas passé ? Aux yeux de Dieu ou aux yeux des hommes ? Les deux derniers siècles avant Jésus-Christ sont grecs bien plus que juifs, dominés dans la Bible par les écrits de Sagesse.
Le maître-mot de l’Histoire est maturité et sagesse. Vous êtes venus ce matin à la messe et le bon repas que vous ferez ensuite j’espère pour fêter ça ne dépendra pas des victuailles mais de l’attention que vous vous porterez les uns aux autres : des regards et des paroles bienveillantes que vous échangerez, de la façon dont vous vivrez la paix et la joie de Noël.
Jésus est né et a grandi dans le silence. Ses parents ne sont pas des bavards : l’évangile ne rapporte aucune parole de Joseph, et la Vierge Marie « gardait tout cela dans son cœur ». Elle est la Vierge de la confiance qui dès l’Annonciation s’en remet à l’Esprit : qu’il me soit fait selon ta Parole. Les deux discussions que nous connaissons entre Jésus et sa mère, au Temple de Jérusalem quand Jésus a douze ans (Lc 2, 48-49), et des années plus tard à Cana (Jn 3, 3-4), sont d’une concision singulière. Il y a des familles où on n’a pas besoin de parler, d’exprimer verbalement ses émotions ou ses pensées. On raconte ce qu’on a fait dans la journée, qui on a rencontré, mais il y a une telle connivence, un lien si profond, une telle communion qu’un regard, un geste, un sourire dit tout. C’est ce qu’il y a de plus fascinant chez un nouveau-né : le regard qu’il porte sur le monde et sur vous.
J’ai dans ma chambre, là où je prie le matin, une grande icône du Christ Pantocrator (tout-puissant), de buste, adulte, la chevelure abondante, le Livre ouvert des Ecritures à la main, l’autre vers le Ciel, deux doigts tendus symbolisant sa double nature humaine et divine, et les trois autres la sainte Trinité.
Quand je le regarde dans les yeux, remonte en moi une Parole de l’Ecriture. Il est le Verbe fait chair, celui dont le regard fait jaillir en nous une parole éternelle. Même quand je ne suis pas bien disposé, il me regarde avec tendresse. Souvenez-vous quand Jésus fixa Pierre après son reniement : « Alors Pierre se souvint de la parole que le Seigneur lui avait dite » (avant que le coq chante, tu m’auras renié trois fois, Lc 22, 61). Le regard de Dieu ne juge pas : il ouvre notre cœur à une réponse personnelle. De gratitude, d’action de grâce, ou de regret (Pierre sortit et pleura). Puisse-t-elle être ce matin de joie et d’espérance.
La grâce et la vérité sont venues par Jésus Christ.
La Loi fut donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus Christ.
Après avoir, à bien des reprises et de bien des manières, dans le passé, parlé à nos pères par les prophètes, en ces jours où nous sommes, il nous parle par son Fils qu’il a établi héritier de toutes choses et par qui il a créé les mondes. Rayonnement de la gloire de Dieu, expression parfaite de son être, ce Fils, le Christ est venu nous apprendre à écouter et à aimer. Promesse de patience et de maturité.
Père Christian Lancrey-Javal, curé
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