La fête de Noël est pleine de nostalgie, mais comment faire pour qu’elle soit vraie et vivante, qu’elle n’ait pas un goût de réchauffé, qu’elle ne soit pas truffée d’artifices qui laissent un goût amer ? Nous pourrions nous poser la même question pour nos messes.
La clé est dans un bon équilibre de l’ancien et du nouveau, et cela dépend des personnes présentes, pour le réveillon comme pour la messe. Si l’assemblée est nouvelle, si les participants à une fête ne se connaissent pas ou ne sont pas des habitués, si la part de nouveaux est majoritaire ou constitue une ‘minorité de blocage’, il faut que le cadre, la forme, le rituel soit, à l’inverse, ancien et classique. Voilà pourquoi il est indispensable aux messes de Noël, où l’assemblée est la plus variée de l’année, que les chants soient des chants de toujours. Si à l’inverse, à une fête, à une messe, les participants sont les mêmes, sans que la communauté, familiale ou paroissiale soit renouvelée, la nouveauté doit alors venir du cadre : changer le décor, les plats, les chants, la façon de faire, que sais-je ?
Il nous faut prendre la mesure de cette nostalgie, qui n’est pas sentimentale, mais spirituelle, une nostalgie de Dieu. L’évangile de l’Annonciation est la référence idéale, d’un basculement, quand une jeune fille vierge, Marie, devient une femme : ‘tu vas concevoir et enfanter un fils’. Elle cherche à se raccrocher à sa situation actuelle : ‘je ne connais pas d’homme’ ! Elle est effrayée par le changement, le bouleversement qui lui est annoncé. La réaction humaine est de se réfugier nous disons dans le passé, en réalité dans le présent qui disparaît.
Quelle est donc la nostalgie intérieure que nous portons tous, d’un passé que nous ayons désiré ou vécu ?
La nostalgie humaine universelle, indépendante de l’expérience réelle, est d’être un enfant aimé et respecté, cajolé et protégé, contre l’extérieur et contre lui-même, et ces deux fonctions sont dévolues aux deux parents, sans qu’aucun en ait l’exclusivité, puisque c’est de l’unité et de l’union des deux que l’enfant tire et reçoit sa sécurité. Lorsque nous disons que le gardien de la Loi est le père, que la protection serait dévolue au père et la consolation à la mère, nous séparons ce que Dieu a uni.
La question que nous devons nous poser est pourquoi dans l’évangile de saint Luc l’ange Gabriel apparaît à Marie et dans l’évangile de saint Matthieu à Joseph : pourquoi l’Ange n’est-il pas apparu aux deux, à Joseph et Marie en même temps ?
La réponse est : Marie est aussi fidèle à la Loi que Joseph est plein de tendresse.
« Comment cela va-t-il se faire, dit Marie, puisque je ne connais pas d’homme ? » : au regard de la Loi, ce n’est pas possible. Tandis que Joseph, de son côté, a une réaction toute en humilité et délicatesse, en se jugeant indigne et en envisageant de rompre en secret.
La nostalgie de l’enfant, de tout être, n’est pas d’avoir d’un côté une autorité protectrice et de l’autre une tendresse consolatrice : notre nostalgie est l’union des deux ! Comme de l’ancien et du nouveau, comme du matériel et du spirituel.
Le propre de l’enfant n’est pas d’avoir le sens de Dieu – assurément, il l’a ! de lui-même, de la transcendance, de l’invisible et d’une grandeur qui ne soit pas matérielle. Le propre de l’enfant est d’avoir le sens de la justice : « Tu m’avais promis ! ».
Tout enfant – nous sommes tous passés par là ! Ce sens de la justice exige que les adultes tiennent leurs promesses, et, de façon aussi impérative, que les contrevenants soient sanctionnés, corrigés, repris, quand ils manquent aux règles communes. Pourquoi y-a-t-il des enfants dissipés, chahuteurs, désobéissants, qui perturbent la vie du groupe ? Pour que les enfants sages découvrent ce qu’ils devront supporter toute leur vie ! Pour qu’ils comprennent que la justice n’est pas de ce monde : elle appartient à Dieu. Enlevez Dieu de votre vie : ce n’est pas l’amour qui disparaît, mais l’espérance de justice.
Dans la nuit de Noël, nous allons célébrer la naissance du seul Juste, le Christ, la promesse que, un jour, justice sera créée. Un avant-signe est donné par l’Ange avec la réparation de l’injustice qui était faite à Élisabeth : elle « a conçu, elle aussi, un fils et en est à son sixième mois, alors qu’on l’appelait la femme stérile ». L’injustice n’était pas qu’elle fût stérile : nous savons bien que nous ne vivons pas la même vie, que nos différences font partie de la vie. L’injustice était dans le regard des autres, dans le mépris et l’opprobre, là où devait être la compassion et la consolation : « on l’appelait la femme stérile ».
Je veux m’adresser ici à ceux qui appréhendent Noël parce qu’ils ne croient plus au bonheur. Non qu’ils n’aient jamais été heureux, qu’ils n’en aient jamais fait l’expérience : on peut avoir fait l’expérience du bonheur et ne plus y croire, comme on peut avoir fait l’expérience de Dieu, de la transcendance, du sacré, de l’amour, sans avoir la foi. On n’en a plus qu’une conscience floue. Ces incroyants de l’Amour se définissent eux-mêmes comme des agnostiques : on attend de voir.
Comment faire pour croire au bonheur ?
Il faut d’abord se l’autoriser, s’en croire digne, prendre conscience de sa dignité, c’est le cri du pape Léon le Grand au moment de Noël : Chrétien, prends conscience de ta dignité ! Non pas en tant que chrétien, élu, baptisé, mais en tant qu’être humain, enfant de Dieu, frère du Christ en humanité. Il faut pour cela purifier notre idée de Dieu, qui ne nous a pas créés pour le devoir, pour le service, l’obéissance ou le sacrifice, mais pour le bonheur, dont la Loi, les commandements, le service, l’obéissance ou le sacrifice sont des moyens, pas une fin en soi.
Il faut parallèlement une attention à l’instant présent, rester incarné : être attentif aux petites choses, ne pas confondre le monde des esprits et le monde des idées. Concrètement, c’est dans les petites choses du quotidien, les petits gestes d’attention aux autres, de tendresse, de cadeaux, de petits plats, les moments passés que la vie se déploie.
3ème condition, éviter les agressions. Savoir, comme le disait un enfant, que ‘la vie est immense et pleine de dangers’. Et la meilleure protection c’est l’affection des proches, le rempart de la famille, le réconfort de l’amitié.
Voilà le mouvement de la vie chrétienne, un mouvement vers le haut dit saint Paul (portez votre regard vers les réalités d’en haut), voir grand, tout en restant réaliste sur les projets et prudents dans notre façon de nous exposer. Notre époque fait le contraire : elle restreint le regard vers les réalités divines tandis qu’elle augmente pour chacun la part d’exposition aux attaques.
Voilà pourquoi la fête de Noël est puissante : elle montre Dieu, dans sa simplicité ; elle est concrète et paisible : elle est une trêve, apaisante, au milieu des changements de ce monde, pour que nos cœurs s’établissent là où se trouvent les vraies joies. Pour que nous puissions à nouveau croire au bonheur.
Père Christian Lancrey-Javal, curé
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