Il suffisait d’un mot. Il aurait suffi à Jésus d’un mot, un seul mot, stop, pour tout arrêter. Saint Thomas d’Aquin dans une hymne célèbre dit qu’une seule goutte de son sang aurait suffi au Christ pour sauver le monde (Hymne Adoro te devote, Dieu caché).
Il lui suffisait d’un mot, tant la puissance du Christ est au-delà de tout ce qu’on peut imaginer, Il est puissance et sagesse de Dieu ! ainsi qu’il le rappelle au moment de son arrestation quand il ordonne au disciple qui frappe le serviteur du grand prêtre de rentrer son épée « car tous ceux qui prennent l’épée périront par l’épée : ne crois-tu pas que je ne puisse faire appel à mon Père ? Il mettrait aussitôt à ma disposition plus de douze légions d’anges » (Mt 26, 54).
Douze légions, plus de soixante mille anges ! (une légion était composée de cinq mille fantassins et trois cents cavaliers). Douze légions, c’était pratiquement la moitié des forces de l’empire romain tout entier.
Jésus avait cette puissance et ce pouvoir. Et la grandeur vertigineuse de la Passion tient au choix qu’il a fait de ne pas arrêter ce supplice, et de l’endurer. Pour nous rendre notre dignité.
Je vous ai parlé de cet ami que j’ai accompagné l’an dernier dans sa maladie jusqu’à sa mort. Anxieux de tempérament, cet homme a été d’un calme, un courage, une dignité admirable. Il avait retrouvé la foi de son enfance. Il fait partie de ces personnes qui me font parfois dire au Seigneur : donne-moi, à moi aussi, cette force et cette grâce d’être digne de toi. Digne de ce que tu as vécu pour nous sur la Croix. Alors qu’il te suffisait d’un mot pour tout arrêter.
J’ai connu aussi des personnes dont la fin de vie a été un calvaire pour leurs proches, qui leur ont fait porter la croix de leurs angoisses. L’un d’eux, médecin, érudit et plus encore, qui avait poussé toute sa vie au maximum ses capacités intellectuelles, les voyant disparaître avec l’âge et la maladie, a tanné pendant cinq ans son épouse de lui donner la mort. Il aurait pu le faire lui-même. Son épouse, médecin elle aussi, et aussi athée que lui, lui répondait invariablement qu’elle n’était pas devenue médecin pour faire ça.
On a édité récemment « Sept conférences inédites sur la foi » du Père François Varillon. La 3ème est remarquable, sur les sacrements, la 6ème à éviter, sur le sens de la mort. La 4ème s’intitule : « Que signifie ‘le Christ est mort pour nous’ », qui reprend la phrase de saint Paul : « le Christ est mort pour nos péchés » (1 Co 15, 3).
Le Père Varillon exhorte à ne pas séparer la mort de Jésus ni de sa vie ni de sa résurrection, ni de ce qui l’a précédée ni de ce qui l’a suivie, disant de la résurrection qu’elle est « le sceau de Dieu sur la vie de Jésus. Par la résurrection, Dieu ratifie ce que Jésus a dit et a fait pendant sa vie. Voilà pourquoi il serait aberrant, quand on cherche le sens de la mort de Jésus, d’oublier ce qu’a été sa vie » (p. 103).
Une vie libre et généreuse, de prière et d’amour.
Cette double continuité, avant et après, est fondamentale, autant l’avant que l’après. L’après, c’est la Résurrection, et l’avant comme l’après avait été annoncé par les Ecritures : « le Christ est mort pour nos péchés conformément aux Écritures » (1 Co 15, 3).
Tout cela est arrivé « pour que s’accomplisse l’Écriture » (Jn 19, 36) le mot est répété cinq fois dans la Passion selon saint Jean, sans compter la dernière Parole du Christ : tout est accompli.
Cet accomplissement est celui de la prophétie du Serviteur souffrant, entendue en 1ère lecture, que reprend mot pour mot la 1ère Lettre de saint Pierre : Le Christ, « n’a pas commis de péché, dans sa bouche, on n’a pas trouvé de mensonge ; il a porté lui-même nos péchés, dans son corps, sur le bois, afin que, morts à nos péchés, nous vivions pour la justice. Par ses blessures, nous sommes guéris » (1 P 2, 24).
Le Christ a pris sur lui nos souffrances et nos péchés : il les a pris sur lui, l’expression est juste : ‘prendre sur soi’. L’amour endure tout, l’amour supporte tout, l’amour prend sur soi puisque l’amour est don de soi.
Par ses blessures, nous sommes guéris. Que cette parole s’accomplisse pour nous ce soir, qu’elle soit notre prière de vénération de la Croix. « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » nous demande le Christ.
Ne crois-tu pas que je puisse te délivrer du mal, te guérir de tes péchés ?
Seigneur, Je crois ! Viens au secours de mon manque de foi ! (Mc 9, 24).
Par ses blessures, nous sommes guéris.
Père Christian Lancrey-Javal, curé
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