A cette question sur l’impôt, si la réponse de Jésus avait été un enseignement religieux, il aurait dit : Rendez à Dieu ce qui est à Dieu, et à César ce qui est à César. Si l’enseignement avait été religieux, il aurait commencé par Dieu, parce que Dieu est premier, et en sachant ce qui allait se passer, à savoir qu’on ne citerait communément que la première partie de la phrase qui aurait alors été plus juste : Rendez à Dieu ce qui est à Dieu.
Ce n’est pas un enseignement religieux, et la réponse de Jésus est comparable à celle qu’il fit un jour à un homme qui lui demandait d’intervenir dans une dispute d’héritage. Du milieu de la foule, quelqu’un avait demandé à Jésus : « Maître, dis à mon frère de partager avec moi notre héritage ». Jésus lui répondit : « Homme, qui donc m’a établi pour être votre juge ou l’arbitre de vos partages ? » (Lc 12, 13-14).
Cela ne signifie pas que Dieu se désintéresse des questions matérielles : il constate tristement que nous y mettons trop de cœur. Ni trop de temps ni trop d’énergie : trop de cœur. Résultat : ces questions matérielles nous divisent au lieu de nous réunir. Dans la parabole de l’intendant malhonnête, dont le maître fit l’éloge, Jésus dit que « les fils de ce monde sont plus habiles entre eux que les fils de la lumière » (Lc 16, 8). Ah ! si nous pouvions utiliser l’argent pour nous rapprocher et non pour nous déchirer.
A cette question sur l’impôt, si Jésus avait été un responsable politique, qui cherche à améliorer de façon réaliste et honnête le quotidien de ses concitoyens, il aurait demandé : Quel est le montant de cet impôt ? de façon à déterminer la pertinence du sujet et du combat à mener. Je vous mets au défi de savoir quel était le montant de cet impôt à César, son poids dans le budget des ménages ( !), son impact sur la population, en particulier sur les pauvres. Evidemment, il était insupportable aux nationalistes juifs puisque c’était le symbole de l’occupation romaine. Mais on ne peut pas être toujours dans le symbolique ! Nous sommes une religion de l’incarnation et du réel. Et en réalité, quelle différence faisait le peuple, les petites gens, entre l’impôt à César et l’impôt des Grands Prêtres, la redevance pour le Temple, le didrachme, dont il est question plus haut dans l’évangile (Mt 17, 24-27) ? Quelle était la souffrance du peuple, du temps de Jésus ? Est-ce qu’il souffrait de l’occupation romaine ou du mépris des riches ? Quelle était la liberté à laquelle il aspirait, et qui pouvait lui donner cette liberté ?
Quelle est la liberté à laquelle nous aspirons, nous, aujourd’hui, et qui peut nous donner cette liberté ? Est-ce une liberté que donne l’argent, la richesse, de satisfaire nos désirs, d’avoir une maison, d’offrir à nos proches ce qu’il y a de meilleur, au moins aux yeux des autres – est-ce la liberté que donne l’argent, ou la liberté de partager, de donner à ceux qui ne le méritent peut-être pas mais qui en ont besoin ?
Les Pharisiens avaient très peur de la liberté de Jésus. C’est la raison pour laquelle ils l’ont fait crucifier : « Si nous le laissons faire, tout le monde va croire en lui, et les Romains viendront détruire notre Lieu saint et notre nation » (Jn 11, 48).
Il serait quand même fâcheux que nous ayons, nous aujourd’hui, à notre tour, dans l’Eglise !, peur de cette liberté du Christ, peur de la liberté des enfants de Dieu !
Il est quand même sidérant que le trait le plus caractéristique de Jésus, qui n’est pas, comme le disent les enfants, sa gentillesse – les enfants ont raison de dire ça, mais le trait le plus caractéristique de Jésus, c’est sa liberté. « Tu ne te laisses influencer par personne, car ce n’est pas selon l’apparence que tu considères les gens » – Eh bien, il est quand même sidérant de voir à quel point il transparaît peu dans notre comportement. Sidérant de voir à quel point nous Chrétiens sommes peu libres, pas seulement à l’égard de l’argent, mais des conventions, des préjugés, des apparences.
Ce manque de liberté vient d’un manque de confiance, en soi, dans les autres, et en Dieu. Ce manque de liberté vient surtout d’un manque de fidélité à Dieu : nous avons peur de manquer, peur d’être abandonnés. Dimanche dernier, nous avons chanté : « Le Seigneur est mon berger, je ne manque de rien ». Est-ce que nous croyons vraiment ce que nous disons ? Cette peur de manquer est irrationnelle. Quand je vous ai envoyés en mission, « sans bourse, ni sac, ni sandales », demandera Jésus à ses disciples, avez-vous manqué de quelque chose ? » (Lc 22, 35). Non, répondent-ils. Et quelques instants après, ils l’abandonnent.
La liberté du Christ vient de sa confiance en son Père, de sa fidélité à sa mission, de l’amour qui les unit. Les Pharisiens ne disent pas à Jésus : tu sais tout. Au contraire, ils disent : ‘nous le savons’. Ils ne vont pas le voir pour son savoir, mais pour la fiabilité de son enseignement : « tu es toujours vrai et tu enseignes le chemin de Dieu en vérité », fiabilité qui vient de sa fidélité et qui lui donne sa liberté : « tu ne te laisses influencer par personne ».
Cette liberté lui donne cette confiance que nous jugeons démesurée à l’égard des personnes. Et à laquelle nous ne sommes pas fidèles chaque fois que nous cherchons à décider à leur place. Pour le dire très concrètement, il n’est pas sûr que l’Eglise doive se prononcer sur tous les sujets de société et donner son avis sur toutes choses. Evidemment, quitte à délivrer un discours qui n’est pas le sien, il vaut mieux que nous donnions celui de l’Eglise que celui des médias. Mais faisons confiance à l’Esprit saint : je vous promets que celui qui passe au moins autant de temps chaque jour dans l’Evangile que sur internet, est capable de recevoir cette liberté intérieure, grâce à cette lumière intérieure qui nous unit au Christ et à nos frères.
Il n’est pas sûr que l’Eglise doive se prononcer sur tous les sujets de société ni sur toutes choses, sous peine d’endurcir son image réglementariste et totalisante, et de se substituer à la conscience de ses enfants. La mission de l’Eglise est de développer notre liberté, de nous apprendre à penser et non pas de penser à notre place en nous faisant utiliser des discours convenus et des réponses toutes faites. Nous aurons dimanche prochain l’enseignement du grand commandement. Dans l’évangile de saint Luc, il est rapporté à l’occasion d’une question posée par un docteur de la Loi pour mettre Jésus à l’épreuve : « Que dois-je faire pour avoir en héritage la vie éternelle ? ». Jésus lui demande : « Dans la Loi, qu’y a-t-il d’écrit ? Et comment lis-tu ? » (Lc 10, 25). Comment lis-tu ? Quel est ton avis ? Qu’en penses-tu ?
« La mission de l’Eglise n’est pas la diffusion d’une idéologie religieuse et pas même la proposition d’une éthique sublime. Le monde a essentiellement besoin de l’Evangile de Jésus Christ » (Message pour la Journée mondiale de la Mission, 22 octobre 2017).
Allons plus loin. Nous pouvons nous réjouir qu’il existe des œuvres, des lieux d’action et d’engagement explicitement catholiques : des écoles catholiques, des maternités catholiques, des pompes funèbres catholiques, des radios catholiques, une télévision catholique …
Elles sont catholiques dans la mesure où elles se concentrent sur l’essentiel (pour les écoles apprendre à lire et à écrire, pour les maternités défendre la vie, les funérailles prendre soin des familles etc.), et où elles donnent une attention prioritaire aux pauvres, chrétiens ou non. Mais nous devons faire attention à ne pas reconstituer une sorte d’univers casher, de l’entre soi. La révolution du Christ se marque par une rupture avec la tradition juive coupée de ce qui n’est pas juif. « De même que tu m’as envoyé dans le monde, moi aussi, je les ai envoyés dans le monde. Je ne prie pas pour que tu les retires du monde, mais pour que tu les gardes du Mauvais » (Jn 17, 18. 15). Ces lieux et ces œuvres catholiques ont pour vocation d’ouvrir une voie qui puisse être sécularisée, reprise par d’autres.
Le plus grand service que des Catholiques puissent rendre à Dieu et à l’Eglise est de s’engager dans des œuvres qui ne le soient pas (catholiques), d’assurer une présence dans le monde, pour y annoncer le Christ, et l’Evangile de Jésus Christ.
« Rappelons-nous toujours qu’à l’origine du fait d’être chrétien, il n’y a pas une décision éthique ou une grande idée, mais la rencontre avec un événement, avec une Personne, qui donne à la vie un nouvel horizon et par là son orientation décisive’ » (Benoît XVI cité par le Pape François, Message pour la Journée mondiale de la Mission).
Même César aurait eu besoin de l’Evangile de Jésus Christ. Tout homme a besoin de Dieu.
Père Christian Lancrey-Javal, curé
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