J’avais relancé par téléphone un homme pour savoir quels textes il avait choisis pour la messe d’Adieu à son épouse, décédée à soixante ans d’un cancer qu’il imputait à sa vaccination contre le Covid : ‘Un mois après avoir été vaccinée, elle est tombée malade !’ m’avait-il dit très en colère, ‘et elle mourait deux ans après’.
Je l’appelais pour savoir s’il avait pu choisir les textes : ‘Non, me répond-il, j’ai commencé à regarder, mais de toutes façons la 1ère lecture ne sera pas de saint Paul : il a trop de sang sur les mains’. C’est la première fois que j’entendais ça. L’Ecriture le dit du roi David et c’est la raison pour laquelle ce n’est pas David qui a construit le Temple : “Ce n’est pas toi, lui dit le Seigneur, qui bâtiras une maison pour mon nom car tu as répandu devant moi beaucoup de sang sur la terre”. C’est dit trois fois au 1er Livre des Chroniques (1 Chr 17, 4 ; 22, 8 et 28, 3). Et ce fut donc son fils Salomon qui le construisit.
Mais jamais je ne l’avais entendu dire de saint Paul.
Les récits de la conversion de saint Paul reconnaissent qu’il avait été animé « d’une rage meurtrière contre les disciples du Seigneur » (Ac 9, 1) : il avait « pour Dieu une ardeur jalouse », allant jusqu’à « persécuter à mort ceux qui suivaient le Chemin du Seigneur Jésus » (Ac 22, 4). Quand on les mettait à mort, il donnait son approbation (Ac 26, 10), comme à la lapidation d’Etienne à laquelle il avait assisté (Ac 7, 58).
Une rage meurtrière, une ardeur jalouse : Paul avait été comme enragé, « l’état mental le plus extrême du spectre de la colère », selon les psychiatres. Internet se délecte de ces vidéos de ‘Road rage’, de délinquance routière.
Dans le Sermon sur la montagne, Jésus prévient : « Vous avez appris qu’il a été dit aux anciens : Tu ne commettras pas de meurtre, et si quelqu’un commet un meurtre, il devra passer en jugement. Eh bien ! moi, je vous dis : Tout homme qui se met en colère contre son frère devra passer en jugement » (Mt 5, 21-22). Oserais-je dire : affronter la colère de Dieu ? Cette colère de Dieu qui se révèlera « du haut du ciel contre toute impiété et contre toute injustice des hommes qui, par leur injustice, font obstacle à la vérité » (Rm 1, 18).
Jésus ne s’est jamais ‘mis’ en colère. Il a éprouvé de la colère comme il a éprouvé de la peur, « frayeur et angoisse » (Mc 14, 33). Ces sentiments ne sont pas des péchés. Ils font partie de notre humanité. La colère est même parfois indispensable, un passage obligé pour certaines victimes pour retrouver l’estime de soi. Pour éviter que la colère se retourne contre soi.
Elle n’a pas pour autant besoin d’exploser.
La difficulté est qu’en français nous avons un seul mot pour désigner l’émotion et l’explosion (la perte de maîtrise de soi). Alors que nous pouvons distinguer la peur et la lâcheté.
Un jour, dans une synagogue, Jésus a demandé devant un homme à la main paralysée : « Est-il permis, le jour du sabbat, de faire le bien ou de faire le mal ? de sauver une vie ou de tuer ? Mais eux se taisaient. Alors, promenant sur eux un regard de colère, navré de l’endurcissement de leurs cœurs, il dit à l’homme : Étends la main. » (Mc 3, 5-6). C’est la seule mention dans l’évangile d’une colère de Jésus. Mais l’amour n’explose pas. L’amour ne s’emporte pas.
Ici, avec les vendeurs du Temple, les marchands et leurs clients ne les oublions pas ! ils ont la même responsabilité ! Jésus est plus qu’indigné, il est scandalisé par cette fausse piété.
Il faut imaginer le vacarme infernal et l’odeur du sang des sacrifices, le brouhaha et la puanteur qu’on cherchait à masquer à force d’encens. Il y avait de quoi être écœuré.
Un peu d’air, de grâce ! ! Que souffle l’Esprit !
Quand vous êtes en colère, allez vous aérer avant d’exploser.
Jésus pose alors ce geste parfaitement maîtrisé, faisant claquer le fouet, renversant les comptoirs de monnaie et ordonnant aux marchands de colombes « d’enlever cela d’ici » : les colombes sont le signe de la paix et elles n’ont rien à faire dans ce tumulte, ce chahut impie. « Ma maison sera appelée maison de prière pour toutes les nations » (Mc 11, 17).
Les témoins saisissent la nature prophétique de ce geste : « quel signe peux-tu nous donner pour agir ainsi ? ».
Quel signe peux-tu nous donner que tu es Le Prophète que nous attendons ?
Dans sa catéchèse du 31 janvier sur la colère, le Pape François en fait une description très imagée, jusqu’à la façon dont elle empêche de dormir, en nous faisant ressasser ce que nous jugeons inacceptable, à nos yeux. Notre colère exprime alors « notre incapacité à accepter la diversité de l’autre, surtout lorsque ses choix de vie divergent des nôtres. Elle ne s’arrête pas au mauvais comportement d’une personne, mais jette tout dans la marmite : c’est l’autre, l’autre tel qu’il est, l’autre en tant que tel qui provoque la colère et le ressentiment ». Cette mauvaise colère ne s’apaise pas avec le temps : « Même la distance et le silence, au lieu d’apaiser le poids de l’incompréhension, l’amplifient. C’est pourquoi saint Paul recommande de ne pas laisser la situation empirer : « Que le soleil ne se couche pas sur votre colère » (Ep 4, 26). La nuit ne doit pas être livrée au diable », à ruminer des erreurs qui ne seraient jamais les nôtres mais toujours celles des autres.
Mes amis, il n’y a pas plus de sainte colère (explosée) que de pieux mensonge (asséné).
Pour comprendre ce geste de Jésus dans le Temple, il faut reprendre le texte du Sermon sur la montagne : « Tout homme qui se met en colère contre son frère devra passer en jugement … Donc, lorsque tu vas présenter ton offrande à l’autel, si, là, tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse ton offrande, là, devant l’autel, va d’abord te réconcilier avec ton frère, et ensuite viens présenter ton offrande » (Mt 5, 23-24).
Le scandale que dénonce Jésus est toujours actuel : il est de dissocier l’adoration de Dieu de l’amour de nos frères, de l’attention aux plus pauvres. Il est de chercher les bonnes grâces du Seigneur en ignorant la détresse des autres, parfois de nos proches. C’est l’amour que je veux dit Jésus, avec vos sacrifices.
« Sachez-le, mes frères bien-aimés », dit la lettre de saint Jacques, « chacun doit être prompt à écouter, lent à parler, lent à la colère, car la colère de l’homme ne fait pas la justice de Dieu » (Jc 1, 20). Convertissons-nous donc, avant que la colère de Dieu ne vienne brûler au feu éternel la lâcheté, l’injustice et l’impiété.
Père Christian Lancrey-Javal, curé
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