Parlons pognon. Le salaire des prêtres a ceci de particulier, en France, qu’il est le même pour tous, évêque, curé ou nouveau prêtre, junior ou senior, débutant ou expérimenté, enthousiaste ou épuisé. Il n’en a pas toujours été ainsi : les grandes paroisses parisiennes gardent le souvenir d’inégalités criantes, entre le curé et ses vicaires, numérotés du premier au dernier, jusqu’à quinze ou seize dans les grandes paroisses. Magnanime, le curé invitait une fois par an ses vicaires à déjeuner. Le premier vicaire chargé des mariages bénéficiait des gratifications qui allaient avec, tandis que le dernier pouvait vivre dans des conditions de misère épouvantables. On ne comprend pas les réticences laïques à l’égard de l’Eglise quand on ignore la façon dont elle s’est comportée : elle a par endroits créé elle-même les raisons de sa détestation, qui restent inscrites dans le subconscient populaire.
Depuis quelques dizaines d’années, évêques et prêtres reçoivent les mêmes émoluments, qui sont indépendants de leurs responsabilités, diplômes, expérience ou résultats. Ce sont les quatre principaux critères utilisés dans la vie civile. La taille de la paroisse n’influe pas sur notre rémunération, pas plus que notre formation initiale : j’ai connu au séminaire des grosses têtes, polytechniciens, normaliens sciences ou lettres, professeurs agrégés ; ils savaient qu’ils ne seraient pas mieux payés que ceux qui avaient à peine le bac.
Notre salaire est indépendant de notre activité et de nos résultats, que nos églises soient pleines ou vides, car, si le quartier y contribue, notre implication aussi. Les esprits libéraux disent que c’est pour cela que beaucoup d’églises sont vides, et voudraient nous voir avec femme et enfants comme de bons cadres de société. Ils oublient le lien qui existe également entre célibat consacré et pauvreté, et la liberté à préserver à l’égard de l’argent.
Cela n’empêche pas que je sois, comme tout curé, sensible à vos dons, car l’Eglise vit de votre générosité, pour deux tiers du Denier, l’autre tiers venant des quêtes du dimanche et des célébrations occasionnelles, baptêmes, mariages, enterrements. J’y suis d’autant plus sensible qu’ils sont un bon indice de satisfaction. Bonne homélie, bonne quête. On verra aujourd’hui !
C’est un aspect que la parabole n’envisage pas : la qualité du travail. Elle ne prend en compte que le temps passé, et la fatigue, physique, de ceux qui ont enduré le poids du jour, morale, de ceux que personne n’avait embauchés, pour les réunir à la fin, un peu comme le sabbat en fin de semaine demande à ceux qui le pratiquent en conscience, d’arrêter, de poser leurs outils pour accueillir la lumière du Très-Haut. Durant la semaine, chacun fait de son mieux, et lorsque le sabbat arrive, il n’y a pas de jugement : chacun a le même droit au repos et à la prière que les autres. Il y a dans l’évangile quelque chose de cet ordre là, qui est de l’ordre de la foi : Dieu nous réunit ensemble devant Lui.
La parabole dit que le maître du domaine est sorti à plusieurs reprises voir ceux qui étaient sur la place, sans rien faire, mais le texte ne dit pas s’il est allé voir ceux qui travaillaient, qui ont autant besoin d’attention que de rémunération. C’est la limite de la parabole car le maître de la vigne, s’il est le Christ, est en permanence auprès de nous : nous ne travaillons pas pour un salaire mais pour un maître, un bon maître, le seul bon maître, qui s’est fait serviteur, qui a travaillé, avant de donner sa vie pour nous.
Lui, le seul Juste, le seul qui fût sans péché, a été crucifié, et il faut l’avoir à l’esprit quand on parle de Justice.
La question est de savoir si la justice, en matière de salaire, est individuelle, et veut que chacun soit payé en fonction de son travail, ou si cette justice est collective, que chacun puisse vivre, décemment et dignement ?
La justice n’est-elle pas que chacun ait une place dans la société ? Que la dignité et les droits de chacun soient respectés, notamment le droit au travail, avec les devoirs correspondants, dans cette parabole, de respect du patron, car c’est bien le sujet : le respect mutuel, de tous, des travailleurs, des employeurs et des chômeurs.
La récrimination des premiers ouvriers, leur sentiment d’injustice vient du fait qu’ils ne se sentent pas reconnus : ils ont travaillé plus que les autres, sans rien recevoir de plus, ni argent, ni remerciements, rien. Ce besoin de reconnaissance, nous le portons tous : il est à la base de tout pacte social. Mais il passe après une autre exigence, d’attention aux délaissés, aux démunis. ‘Personne ne nous a embauchés !’.
Avez-vous remarqué que l’Evangile et le Christ donne la priorité à la protection des faibles, des pauvres, des malheureux, sur la reconnaissance des forts ? Pour le disciple du Christ, ce qui prime, c’est la protection des petits.
Pourquoi ? Non pas pourquoi il faut protéger les faibles – ça, chacun peut le comprendre, cela s’appelle l’égalité : vulnérables, nous l’avons tous été, et chacun peut le redevenir, à tout moment, et nous le redeviendrons tous un jour, devant Dieu. Non : pourquoi la protection des petits passe avant la reconnaissance des bons ?
D’abord, en rigueur de terme, la reconnaissance est due à Dieu seul : « à Lui tout Honneur et toute Gloire ». Il y a une exclusivité divine qui nous fait dire au Seigneur, à propos des Saints et des Saintes, j’aime beaucoup cette phrase mais ne vous arrêtez pas si elle ne vous parle pas : « Lorsque tu couronnes leurs mérites, tu couronnes tes propres dons ».
Cette exclusivité divine est la meilleure protection contre la fausse gloire, qui vient des hommes, du regard des autres. Le danger de tout compliment vient de l’orgueil qu’il flatte. Dieu ne flatte pas. Nous entendrons en novembre dans la parabole des talents l’approbation très mesurée du maître : c’est très bien. Il ne s’écrie pas : c’est génial !
Il y a une autre raison pour laquelle Jésus congratule peu ses disciples : il les exhorte à la vigilance ! Jésus n’est pas ‘avare’ en compliments mais sobre, car le succès est une ivresse. « Soyez sobres, veillez : votre adversaire, le diable, comme un lion rugissant, rôde, cherchant qui dévorer » (1 P 5, 8).
Enfin, si l’évangile insiste tant sur la protection des petits, plutôt que sur l’exaltation des forts, la louange des bons, c’est parce que l’homme y arrive très bien tout seul. C’est pour la même raison que les commandements de Dieu ordonnent aux enfants de respecter leurs parents, sans demander la contrepartie, qui est naturelle, aux parents d’aimer leurs enfants. La Parole de Dieu ne s’adresse pas à des personnes vierges d’expérience. Elle vient éclairer et convertir. Elle vient rappeler à ceux qui vont bien qu’ils sont les frères de ceux qui souffrent.
Mes amis, frères et sœurs, le Seigneur nous réunit aujourd’hui dans la foi. Il nous réunit dans la générosité et l’accueil inconditionnel de tous, pour que chacun reçoive l’attention dont il a besoin, et puisse retrouver confiance en Dieu qui nous aime. Ton regard est-il mauvais parce que moi, je suis bon ? La jalousie de l’homme ne fait pas la justice de Dieu
Père Christian Lancrey-Javal, curé
Vous avez la possibilité de recevoir les homélies du Père Lancrey-Javal en remplissant ce formulaire