Nous avons à l’égard du Diable deux attitudes distinctes à concilier : nous devons en parler suffisamment pour que nul ne puisse douter de son existence et de sa nocivité ; nous ne devons pas trop en parler car ce serait lui faire trop d’honneur, et c’est tout ce qu’il aime : c’est un vaniteux. Ce qui ne signifie pas que les vaniteux soient possédés !
L’évangile de ce dimanche est clair sur son existence et son action : le diable est l’ennemi qui essaye de gâcher la récolte en mettant de l’ivraie (plante aux graines toxiques, le mot est de la même famille que ‘ébriété’, ivresse, c’est pire que des herbes folles) au milieu du blé pendant que les gens dormaient. Son plaisir est de détruire et d’abîmer. Il agit de nuit, nuitamment, et de façon nuisible, pour nuire.
Je vous propose de répondre à trois questions le concernant :
Est-il possible à un chrétien de ne pas croire à l’existence du Diable ?
Sommes-nous en sécurité à l’intérieur de l’Eglise ?
Quel est son lien au sexe et à l’argent ?
Est-il possible à un chrétien de ne pas croire à l’existence du Diable ?
Nous avons fêté ce samedi 22 juillet sainte Marie Madeleine qui est une figure emblématique d’exorcisme puisque l’évangile dit qu’elle avait été libérée de sept démons. Sept est un chiffre symbolique utilisé pour une perfection, à tout le moins une totalité, comme les sept péchés capitaux : autrement dit, elle était sérieusement infestée. Nous disons ‘infestée’ plutôt que ‘possédée’ quand on ne sait pas si la personne a pactisé volontairement avec l’ennemi. L’infestation est le degré du dessous de la possession. Par exemple, on peut être infesté en participant à des pratiques occultes comme le spiritisme, la voyance, alors même qu’il n’y a pas d’intention de collaborer avec l’ennemi. Nombre de chrétiens se livrent à de telles activités, comme les conducteurs qui roulent à tombeau ouvert persuadés qu’il ne va rien leur arriver. Il se peut qu’il ne leur arrive rien. Ce qui les conforte dans leur sentiment d’immunité ou d’impunité.
Il est important de rappeler que Marie-Madeleine avait été libérée du démon pour comprendre que l’amour qu’elle portait à Jésus était un amour filial de gratitude et non pas conjugal de communion. Beaucoup de jeunes femmes veulent épouser un papa ; et beaucoup d’hommes se laissent prendre à cette méprise qui les met en situation de confort et de domination. C’est le type même du faux amour conjugal, où manque l’égalité. Peut-être que Marie-Madeleine dans sa gratitude se fourvoyait, mais pas Jésus.
Quant à savoir s’il est possible à un chrétien de ne pas croire à l’existence du Diable ? Autant que de ne pas prendre l’évangile au sérieux.
Deuxième question : Sommes-nous en sécurité à l’intérieur de l’Eglise ?
Je vais la reformuler plus brutalement : est-il possible qu’un prêtre soit possédé ? Qu’un prêtre fasse le cheminement inverse de Marie-Madeleine qui avait été libérée et suivait Jésus : est-il possible à un homme ou une femme consacrée, prêtre, religieux ou religieuse, de se livrer au Malin et devenir l’esclave de ses pulsions ?
Je pense aux crimes pédophiles dans l’Eglise, où je n’ai pas d’autre explication que le Diable. Cela ne signifie pas que tous les pédophiles soient possédés mais tous ceux qui font preuve d’indulgence en ce domaine sont des ouvriers du Diable.
Une maman qui inscrivait son enfant au catéchisme a demandé s’il y avait des pédophiles ici. Notre responsable a répondu : est-ce que vous posez cette question à l’école ? Je suis moins choqué vu l’atrocité du sujet. Il est évident qu’aussi bien à l’école, dans l’église, en familles, si on savait, on réagirait. Pour l’instant très mal. Le texte de la parabole est précis : pendant que les gens dormaient. Le Diable profite des manques de vigilance, de contrôle et d’attention.
Moi, Pape, la première mesure que je prendrais concernant les dérives les plus graves au sein de l’Eglise ferait obligation aux Evêques de mettre en place des instances de contrôle et de surveillance de toutes les communautés placées sous leur responsabilité, de se livrer à des visites régulières et imprévues, pour ne pas être comme ces parents qui n’entrent jamais dans la chambre de leurs enfants. C’est une image : il ne s’agit pas d’être intrusif mais vigilant. Comme le paysan fait tous les jours le tour de son domaine, va tous les jours voir ses champs. La parabole ne s’applique pas en la matière : il y a des cas où il faut arracher l’ivraie.
Troisième question : est-ce que le Diable préfère le sexe ou l’argent ?
Le Diable est une créature, comme nous. C’est une créature spirituelle alors que nous sommes des créatures corporelles. Il n’a pas de corps : c’était un ange au moment de sa création qui est devenu démon (mauvais) en se préférant comme objet d’adoration, en refusant d’obéir à Dieu.
Il a connu dans l’instant de sa création le choix que nous avons à faire tout au long de notre vie, choix que ceux qui ne croient pas en Dieu repoussent à plus tard, sans que les croyants puissent penser que pour eux la partie est gagnée. En effet ce choix n’est pas individuel ni ‘privé’ : le choix consiste soit à aider les autres à se rapprocher de Dieu, comme les Saints, soit à les empêcher, comme le Diable.
D’où la deuxième parabole de Jésus sur la graine de moutarde, la plus petite de toutes les semences, qui, quand elle a poussé, dépasse les autres plantes potagères et devient un arbre, si bien que les oiseaux du ciel font leurs nids dans ses branches. C’est l’arbre de l’Eglise que chaque baptisé est appelé à rejoindre et représenter pour accueillir tous ceux qui doivent être protégés.
Voilà une bonne question à se poser : est-ce que j’aide les autres à se rapprocher de Dieu, et si oui, comment ?
Le sexe et l’argent n’ont rien de diabolique : ce sont deux sources de plaisirs, de convoitise et de tentation (des ‘causes de chute’, dit l’évangile). Saint Augustin opposait deux cités : la Cité de Dieu et la cité terrestre, mélangées comme le bon grain et l’ivraie. Elles reposent, dit-il, sur deux amours, l’amour de soi jusqu’à l’oubli de Dieu, l’amour de Dieu jusqu’à l’oubli de soi. Chacun a le choix de chercher le plaisir de Dieu ou à faire plaisir au Diable. Celui-là est plus excitant ; le premier est plus laborieux, comme dans la troisième parabole, de la femme qui fait son pain, le pain quotidien de l’Eglise qui ne lève qu’avec l’Esprit saint.
Père Christian Lancrey-Javal, curé
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