Beaucoup d’églises ont une crypte, dont la fonction à l’origine était le culte des saints : les lieux de culte chrétien, chapelles et églises, se sont d’abord construits au-dessus des tombeaux des martyrs. Dans un deuxième temps, passé celui des grandes persécutions, le mouvement s’est inversé : au fur et à mesure que se multipliaient les constructions d’églises, les maîtres d’œuvre prenaient soin d’aménager un sous-sol susceptible d’héberger les précieuses reliques aussi bien que d’offrir un lieu supplémentaire de célébration.
C’est ainsi que les chapelles qui étaient construites au départ au-dessus des tombeaux des saints ont été enfouies, pendant toute l’époque carolingienne, au-dessous des églises, avant que se généralise dans un troisième temps, à l’ère gothique, la mode des chapelles latérales. Les grandes constructions, basiliques et cathédrales, ont les deux : une crypte inférieure et des chapelles latérales.
Ce déplacement du culte des saints dans les chapelles latérales a le mérite de laisser l’essentiel au centre : le sacrifice du Christ.
Beaucoup d’églises ont donc une crypte, qui sert d’église secondaire.
La particularité de notre paroisse Notre-Dame de Compassion est que la crypte, l’église basse, est l’église principale, tandis que la chapelle, au-dessus, est certes le monument historique d’origine, la construction la plus ancienne, mais sa moindre capacité d’accueil la réserve aux plus petites célébrations.
La crypte a deux avantages : elle est peu sensible aux variations extérieures de température. C’est le principe des caves, d’offrir une température constante, généralement fraîche, adaptée à la conservation des aliments et du vin. La crypte est surtout moins sensible au bruit extérieur. C’est un lieu protégé.
C’est un lieu protégé parce que c’est un lieu de mémoire et d’espérance, et il faut tenir les deux ensemble : l’Eglise est un lieu de mémoire parce qu’elle est un lieu d’espérance, et elle est un lieu d’espérance de vie éternelle parce qu’elle est un lieu de mémoire, pour les biens reçus et le bonheur déjà connu. D’où le mouvement d’abord vertical, ascendant et descendant, du signe de croix : au Nom du Père et du Fils, avant que quoi que ce soit puisse être offert et élargi au monde qui nous entoure : et du Saint-Esprit.
Qu’il faille enfouir sous terre le grain et qu’il y meure, pour qu’il puisse porter du fruit, est la réalité la plus naturelle qui soit.
Ce grain à semer, dit Jésus, est la Parole d’amour du Père. Tout être humain a besoin de cette parole d’amour, pour pouvoir grandir et se construire, avant de pouvoir donner à son tour de l’amour aux autres.
Qu’est-ce que cela signifie ?
Cela signifie que Jésus rencontrait chez ses contemporains cette difficulté que l’on présente comme symptomatique de notre époque : le manque de profondeur. C’est rassurant : il ne s’agit donc pas d’une difficulté de notre époque.
Il suffit de relire la parabole du Bon samaritain pour voir que l’indifférence existait. C’est un des chants les plus marquants du Chemin de Croix : « quand Jésus mourait au calvaire, rejeté par toute la terre », dont la troisième strophe interroge clairement : « se peut-il que tant de souffrances ne nous laisse qu’indifférence » ?
L’indifférence consiste à rester à la surface, une surface dure, fermée, impénétrable, qui est le pire cauchemar de l’humanité : se transformer en pierre. Lorsque Jésus reprend la prophétie d’Isaïe, sur le cœur de ce peuple qui s’est alourdi, chacun comprend que ce cœur est devenu un cœur de pierre, incapable de s’émouvoir, incapable de compassion.
Nous avons été tirés de la terre, façonnés de la glaise du sol, pour vivre de la vie du Ciel, pour unir nos voix aux anges, pour donner de la vie au monde, et non pas pour retourner au néant.
« Tu es poussière et tu retourneras en poussière » n’est pas une malédiction !
C’est un avertissement : tu es poussière et tu retourneras en poussière si vous ne vous convertissez pas dit le Seigneur. Convertissez-vous et vous vivrez !
Vous vous souvenez de ce passage tout à fait singulier de la Passion selon saint Matthieu que nous avons entendue cette année, qui relate qu’au moment de la mort du Christ « le rideau du Sanctuaire se déchira en deux, depuis le haut jusqu’en bas ; la terre trembla et les rochers se fendirent. Les tombeaux s’ouvrirent ; les corps de nombreux saints qui étaient morts ressuscitèrent, et, sortant des tombeaux après la résurrection de Jésus, ils entrèrent dans la Ville sainte, et se montrèrent à un grand nombre de gens » » (Mt 27, 51-53).
Dans sa méditation du Vendredi saint, le Père Cantalamessa, le prédicateur de la Maison pontificale, rappelait qu’on donne généralement à ces signes une explication apocalyptique, comme d’un langage symbolique apte à décrire l’événement eschatologique de la fin des temps. Mais ces signes ont également une signification morale (parénétique) : ils indiquent ce qui doit se passer dans le cœur de ceux qui lisent et méditent la Passion du Christ. Saint Léon le Grand disait : « Que la nature humaine tremble devant le supplice du Rédempteur, que les pierres des cœurs infidèles se fendent et que ceux qui étaient enfermés dans les sépulcres de leur mortalité sortent, en soulevant la pierre qui reposait sur eux ».
Le cœur de chair, promis par Dieu dans les prophètes, est présent dans le monde : c’est le cœur du Christ transpercé sur la croix, que nous vénérons comme « le Sacré Cœur ». En recevant l’Eucharistie, nous croyons fermement que ce cœur se met à battre aussi en nous.
Cela suppose que sa Parole résonne en nous, que nous soyons capable de descendre dans notre crypte intérieure, d’y faire mémoire des bienfaits reçus de Dieu, d’y goûter en silence sa présence amoureuse. Que nous soyons capables de profondeur.
Père Christian Lancrey-Javal, curé
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