Nous avons trois noms, trois dénominations principales pour dire notre relation à Dieu : nous sommes sa création, son peuple, ses enfants. Chacun de ces noms peut être rapporté à l’une des trois personnes divines, au Père, au Fils et au Saint-Esprit.
Nous pouvons accorder au Père tout ce qui relève de la Création comme nous le faisons au début du Credo : je crois en Dieu le Père tout-puissant créateur du Ciel et de la Terre. Et mieux encore, dans le symbole de Nicée : je crois en un seul Dieu, le Père tout-puissant, créateur du Ciel et de la Terre, de l’univers visible et invisible.
Nous pouvons accorder au Christ ce qui concerne nos relations les uns aux autres, relations que nous voudrions plus fraternelles que sociales : aimez-vous les uns les autres, dit Jésus, comme je vous ai aimés. Ah ! si l’humanité toute entière pouvait devenir un peuple chrétien. Et si nous Chrétiens nous pouvions nous montrer parfois un peu plus humains, compatissants et indulgents …
Nous demandons à l’Esprit-Saint de vivre en enfants de Dieu : celui qui aime est né de Dieu, et connaît Dieu, qu’il retrouve dans la prière. Celui qui aime Dieu le connaît par la prière.
Evidemment nous sommes ses enfants parce qu’il est Notre Père, de même que nous sommes son peuple à la façon dont nous nous laissons conduire par l’Esprit – qu’est-ce qui fait un peuple ? Sûrement pas un territoire, les Hébreux restaient des Hébreux au désert, en Egypte ou à Babylone. Ce n’est pas non plus une histoire, pas même une culture, seulement un esprit, comme pour une famille, ce qui donne le droit aux membres d’une famille qui n’en partagent pas l’esprit de prendre leurs distances.
Enfants du Père, peuple par l’Esprit, nous sommes des créatures mortelles, sauvées par le Christ, dont nous professons qu’il est lui-même ‘engendré non pas créé’ : de même nature que le Père, réellement consubstantiel, vrai homme et surtout vrai Dieu, ses miracles attestent qu’en Lui réside la plénitude de la divinité : seul celui qui nous a créés peut nous sauver. Et en Dieu, la nouvelle création s’appelle le pardon, la rédemption.
Les trois personnes divines sont inséparables, dans ce qu’elles sont et dans ce qu’elles font, comme sont inséparables les sacrements qui nous unissent à elles : le baptême célébré à Pâques fait de nous des créatures nouvelles ; la confirmation célébrée à la Pentecôte nous agrège au peuple de Dieu ; le Saint-Sacrement que nous fêterons dimanche prochain honore le pain de vie, la nourriture des enfants de Dieu. Voilà une belle image de la Trinité que ces trois sacrements, du baptême, de la communion et de la confirmation : nous sommes sa création, son peuple, ses enfants. Chacun des sacrements est une expression de l’Amour et du pardon.
Pourquoi nous intéresser à la Sainte Trinité, alors que ce mystère nous dépasse, et que nous n’en prononçons pas le nom dans le Credo ? A tel point qu’un baptême fait « au nom de la sainte Trinité » n’est pas valide : il faut le lien explicite aux personnes divines : au Père, au Fils et au Saint-Esprit.
Oui, pourquoi ?
La Trinité sainte nous intéresse et nous oblige comme modèle et comme destination (le mot n’est pas très heureux mais je n’en ai pas trouvé de plus clair). Elle nous intéresse comme modèle absolu d’harmonie, et elle nous oblige comme destination ultime de notre vie. « La fin ultime de toute l’économie divine, c’est l’entrée des créatures dans l’unité parfaite de la Bienheureuse Trinité » (CEC n° 260).
Reprenons ces trois modes de relation à Dieu que j’évoquais : elles sont placées curieusement sous le signe de la dépendance et de la résistance.
Elles sont placées sous le signe de la dépendance :
La création sait qu’elle dépend du soleil, et pour les plantes de l’eau et de la pluie. Quiconque a vécu une éclipse du soleil, même de quelques minutes, et le froid qui a suivi, sait ce qui arriverait si le soleil, le grand luminaire ne venait plus réchauffer la terre.
Tous les peuples savent qu’ils ont besoin d’être dirigés, commandés. Et le choix, l’élection de ceux qui les représentent, donne lieu à d’interminables discussions.
Tous les enfants savent ce qu’ils doivent à leurs parents, physiquement et affectivement. Une dépendance qui est toute la vie source de tensions et d’émotions.
Cette triple dépendance, nous l’expérimentons sans cesse : un besoin de nature, de soleil et de bols d’air ; un besoin au travail de directions à suivre, de responsables à écouter ; et sur le plan personnel, un besoin d’attention et d’affection.
Nous l’expérimentons et nous nous y heurtons, comme si cette réalité était insupportable. Nous vivons ces trois relations à Dieu sous le mode de la résistance, en cherchant à nous en affranchir, à en prendre le contrôle, en avoir la maîtrise.
Dans tous les domaines de notre vie biologique, y compris de notre sexualité où nous avons le plus grand mal à conjuguer fidélité et fécondité.
De même pour ce qui relève de nos liens communautaires, de nos engagements dans la Cité : incompatibles avec nos rythmes de vie.
Enfin, la même tension se manifeste à l’égard de toutes les fragilités, sociales ou matérielles, dont on estime désormais qu’elles sont du ressort des pouvoirs publics.
Qu’on ne s’étonne pas si la majorité de nos contemporains ne croient plus qu’en une « idée » de Dieu, sans conséquences pratiques, sans qu’on sache s’ils ne croient plus en Dieu parce qu’ils ne savent plus qui ils sont eux-mêmes, ou s’ils ne savent plus qui ils sont parce qu’ils ne croient plus en Dieu.
C’est pourtant le sens du Jugement dont il est question dans l’évangile de ce Jour : le Jugement n’est rien d’autre que le rétablissement de chaque personne dans la réalité de son être et de sa vie au moment de son entrée dans la lumière de Dieu.
Au soir de notre vie, nous serons jugés sur l’amour de nous-mêmes, sur la façon dont nous nous serons respectés nous-mêmes, dont nous aurons développé nos talents, apporté un soin suffisant à notre santé mentale et physique. Oui, nous répondrons devant Dieu de nos excès, comme de nos manques délibérés de sommeil, d’équilibre.
Au soir de notre vie, nous serons jugés sur l’amour du prochain, sur l’attention que nous aurons portée à la Justice sociale, nous serons jugés sur la priorité que nous aurons donnée aux plus faibles de nos communautés.
Au soir de notre vie, nous serons jugés sur la place donnée à la prière, sur la façon dont nous aurons répondu à l’amour de Dieu, nous serons jugés sur notre foi au nom du Fils unique de Dieu. Il est déjà jugé, dit l’évangile, celui qui ne croit pas : non qu’il soit aujourd’hui trop tard, au contraire, mais parce qu’alors il sera trop tard.
Ce refus de dépendance biologique, communautaire et historique, est d’autant plus mystérieux qu’il est contraire à l’expérience que nous faisons de l’amour. L’expérience amoureuse est un sentiment de dépendance heureuse : je ne peux pas vivre sans toi. Je ne veux pas vivre sans penser à toi, sans te parler, sans t’écouter, sans partager avec toi ce qui fait mes journées. Je le dis chaque jour à Dieu, parce que c’est de Lui que je le tiens, qui est l’Amour.
Dépendre de l’autre signifie qu’on s’engage à demander. C’est ça la dépendance, heureuse ou non : l’obligation de demander, soit parce qu’on ne peut pas le faire tout seul, soit parce qu’on ne veut pas. Et dans l’amour, je ne veux pas le faire sans toi. Demandez, dit le Seigneur.
Dépendre de l’autre signifie qu’on s’engage à écouter. La réciprocité de l’amour transforme la dépendance en interdépendance. Qui fait que chacun écoute ce que l’autre demande. Ecoute Israël, dit le Seigneur.
Dépendre de l’autre signifie qu’on s’engage à avancer ensemble, à chercher ensemble, à partager. Cela signifie raconter sa vie, ses journées, ses rencontres, ses sentiments. Sous peine de réduire l’échange à une manœuvre d’intérêts. Il s’agit d’ouvrir son cœur aux dimensions infinies de l’amour.
Les relations d’amour que nous vivons aujourd’hui entre nous sont l’unique façon de nous préparer et nous conformer à celles que nous vivrons en Dieu. Nous sommes sa création, son peuple, ses enfants.
Père Christian Lancrey-Javal, curé
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