L’Ascension du Seigneur, son enlèvement au Ciel suivant l’expression de la 1ère lecture (quand « il fut enlevé au Ciel » Ac 1, 2), est, en France, une des quatre fêtes d’obligation : une fête tombant un jour de semaine ayant la même importance qu’un dimanche (par différence avec Pâques ou la Pentecôte qui sont toujours un dimanche). Concrètement, ça veut dire que le Catholique qui ne va pas à la messe ce jour-là, comme tous les dimanches, ne peut pas communier le dimanche suivant, s’il ne s’en est pas confessé. Ne pas aller à la messe le dimanche ou un jour de fête d’obligation est un péché grave, dont le Catholique doit se confesser pour pouvoir à nouveau communier.
Ça fait rire ?
En tout cas, ça ne gêne pas la majorité des baptisés qui estiment que c’est déjà bien d’être là, quand ils sont à la messe, au regard de l’effort que cela représente. Oui, c’est déjà bien d’être là. Cela donne-t-il les mêmes droits qu’à ceux qui sont là fidèlement tous les dimanches ?
Vous connaissez la parabole du fils prodigue : vous vous souvenez de la façon dont le frère aîné, qui était resté fidèlement à la maison, n’a pas supporté que son frère fût si bien accueilli ? C’est moi chaque fois que, donnant la communion lors d’un mariage ou d’un enterrement à des personnes dont je sais l’absence de pratique religieuse, je dis dans mon cœur au Seigneur : ‘Vraiment, Jésus, tu vas aller chez cette personne qui ne sait pas que c’est toi ? qui ignore la sublimité de l’hostie ?! Seigneur, ça me fait mal pour toi !’.
Jésus me répond : ‘Vraiment ? ça te fait mal pour moi ? C’est très gentil de ta part, mais je préfèrerais que ça te fasse mal pour moi dans bien d’autres domaines de ton existence … Oui, ils sont infidèles à la messe. Mais toi, à quoi es-tu infidèle ? Es-tu vraiment fidèle à tous mes commandements, de l’amour de mon Père à l’amour du prochain ?
« Allez ! De toutes les nations faites des disciples : baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, apprenez-leur à observer tout ce que je vous ai commandé. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde » (ou : « jusqu’à la fin des temps »).
Et toi es-tu vraiment avec moi tous les jours de ta vie ?
Les quatre fêtes d’obligation fixées en France par la Conférence des Evêques sont : Noël, l’Ascension, l’Assomption (le 15 août) et la Toussaint. Si Noël a un statut à part, de la venue (la descente) sur terre de Celui qui vient du Ciel, les trois autres sont des fêtes de montée au Ciel : du Seigneur, de la Vierge Marie et de tous les Saints.
C’est la définition d’une fête : la venue du Ciel sur la terre. C’est la fête ! signifie qu’on reçoit quelque chose de Dieu, qui nous fait sortir, par le haut, de notre condition habituelle. Et l’Ascension du Seigneur crée ce lien nouveau : notre humanité est désormais corporellement présente auprès de Dieu
La fête de l’Ascension a cette différence par rapport aux trois autres fêtes que sont Noël, le 15 Août (l’Assomption) et la Toussaint, qu’elle est un Jeudi, quarante jours après Pâques, honorant ainsi le mystère du Corps du Christ et de l’Eucharistie, instituée un Jeudi.
Faut-il pour autant conserver le Jeudi de l’Ascension comme un jour férié en France ?
Quand, dans un pays de tradition chrétienne, un jour de semaine est férié en raison d’une fête religieuse, c’est pour que les fidèles puissent aller à la Messe. Il serait bien plus chrétien aujourd’hui, en solidarité avec les chômeurs, de supprimer ce Jeudi de l’Ascension comme jour férié en France, et de reporter la fête au dimanche suivant.
Le travail a en effet pris une telle part dans nos vies qu’il ne se définit plus par rapport à la fête, mais par opposition au repos. On ne voit plus la différence entre la fête et le repos. Je vous parlerai un autre jour de notre équilibre de vie, qui repose sur trois axes : le travail, la fête et la vie intérieure (la prière). Je me limiterai pour l’heure à trois réflexions sur le sujet.
Le signe d’un équilibre de vie est un sentiment de stabilité. Par définition : de l’équilibre le plus stable possible. Cette stabilité passe par la fidélité dans la pratique religieuse, dans l’assiduité à la prière aussi bien commune (la messe) que personnelle. Ils étaient « assidus à la prière », disent les Actes des Apôtres (cf. Ac 2, 46). Si Jésus nous a promis d’être avec nous tous les jours jusqu’à la fin du monde, c’est pour que nous soyons nous aussi tous les jours avec lui, pas tous les jours à la messe, mais tous les jours avec lui. C’est pour cela que je préfère la traduction : « jusqu’à la fin des temps ».
D’où ma deuxième réflexion sur la place que nous donnons à notre vie intérieure, qui passe par le silence et l’écoute. Imaginez le silence qui s’est fait au jour de l’Ascension quand Jésus, « tandis que les Apôtres le regardaient, s’éleva, et une nuée vint le soustraire à leurs yeux ». Combien de temps à votre avis s’est-il alors écoulé avant qu’interviennent ces deux hommes en vêtements blancs tandis que les apôtres fixaient le ciel où Jésus était entré ? Est-ce de l’ordre de quelques secondes, voire presque instantanément ? Ou bien de quelques minutes, voire davantage ? Une amie me disait cette semaine que ce texte de l’Ascension lui faisait à chaque fois penser à la fin du poème de Baudelaire, les Aveugles : « Que cherchent-ils au Ciel tous ces aveugles ? ». Ce n’est pas au Ciel que je cherche, mais dans le secret de mon cœur.
Pour cela, il est bon enfin de rappeler ce que disait le Pape François sur « la fête (qui) n’est pas la paresse de rester dans son fauteuil, ni l’ébriété d’une évasion stupide, non, la fête est avant tout un regard d’amour et de reconnaissance sur le travail bien fait ; nous fêtons un travail » (Audience générale du 12 août 2015). C’est un temps, disait-il, pour « regarder ses proches, sa famille, les amis, la communauté qui nous entourent, et pour penser : quelle bonne chose ! Dieu a fait cela quand il a créé le monde. Et il fait cela continuellement, parce que Dieu crée toujours, y compris en ce moment ! ».
Au moment de l’Ascension, Jésus regarde ses apôtres : avec quelle tendresse ! Et même avec fierté, pour le chemin parcouru, pour tout ce qu’ils ont appris, découvert, accueilli. Nous l’entendrons dimanche prochain, dans la prière sacerdotale de Jésus, s’adressant à son Père : « Ils ont reconnu que tout ce que tu m’as donné vient de toi, car je leur ai donné les paroles que tu m’avais données : ils les ont reçues, ils ont vraiment reconnu que je suis sorti de toi, et ils ont cru que tu m’as envoyé ».
Que chacun de nous puisse, en cette fête de l’Ascension, contempler le chemin parcouru à la suite de Jésus. Comme un marcheur qui s’arrête pour souffler trouve dans le calme du paysage des forces nouvelles pour reprendre la route, pour aller là où le Seigneur est entré avec notre humanité, désormais divinisée.
Père Christian Lancrey-Javal, curé
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