Les Apôtres appellent Jésus : ‘Seigneur’, ‘Kyrie’, comme nous dans le Kyrie eleison Seigneur prends pitié, et ils ont raison, dit Jésus lors du lavement des pieds : « Vous m’appelez “Maître” et “Seigneur”, et vous avez raison, car vraiment je le suis ». Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je suis votre serviteur, vous aussi, vous devez servir, et être vos serviteurs (cf. Jn 13, 13-14).
Ces deux titres de Maître et de Seigneur ne sont pas équivalents. Maître est moins fort et plus courant. Les Pharisiens l’utilisent, aussi bien Nicodème que ceux qui lui amènent une femme adultère pour le piéger. Il est plein d’affection de la part de Marie-Madeleine au matin de Pâques : Rabbouni ! signe qu’elle ignore à ce moment-là qu’il est Dieu, comme nous le proclamons dans le Credo : « Je crois en un seul Seigneur Jésus Christ » qui est l’expression la plus ancienne de sa divinité.
Dans sa 2ème prédication de Carême cette année, le Père Cantalamessa expliquait qu’en milieu biblique et judaïque, Seigneur, Adonaï, était un titre qui n’appartenait qu’à Dieu. Appeler Jésus “Seigneur” équivaut à le proclamer Dieu. Nous avons la preuve irréfutable du rôle exercé par le titre Kyrios aux débuts de l’Eglise comme expression du culte divin attribué au Christ.
Il est attesté dans sa version araméenne Maranatha, le Seigneur vient, ou Viens, Seigneur ! Il apparaît chez saint Paul comme formule liturgique à la fin de la 1ère Lettre aux Corinthiens : « Si quelqu’un n’aime pas le Seigneur, qu’il soit anathème. Maranatha ! Que la grâce du Seigneur Jésus soit avec vous. Je vous aime tous dans le Christ Jésus » (1 Co 16, 22-24).
Ce n’est que lorsque le Christianisme s’est diffusé dans le monde grec et romain environnant que ce titre de Seigneur, Kyrios, n’a plus suffi, car le monde païen connaissait beaucoup d’autres « seigneurs » que Dieu, à commencer par l’empereur romain. Il fallut trouver un autre moyen de garantir la pleine foi en Jésus Christ et son culte divin.
Ce fut le rôle de l’Esprit-Saint dans la formule du symbole des Apôtres : « Je crois en Jésus Christ son Fils notre Seigneur, qui a été conçu du Saint-Esprit », tandis que le symbole de Nicée détaille de façon plus précise qu’il y a un seul Seigneur Jésus-Christ, comme il y a un seul Dieu, le Père tout-puissant, qui sont de même nature, consubstantiels.
Quand on prend conscience de la puissance de ce titre de Seigneur, on ne peut être qu’effaré par l’insolence, il n’y a pas d’autre mot, des disciples : « Seigneur, montre-nous le Père ; cela nous suffit ».
Ils sont quatre à apostropher successivement Jésus.
D’abord Pierre : « Seigneur, où vas-tu ? » Jésus lui répondit : « Là où je vais, tu ne peux pas me suivre maintenant ; tu me suivras plus tard ». Pierre lui dit : « Seigneur, pourquoi ne puis-je pas te suivre à présent ? Je donnerai ma vie pour toi ! » (Jn 13, 36-37).
Puis Thomas et Philippe, que nous avons entendus.
Et enfin Jude (Thaddée) qui lui demande : « Seigneur, que se passe-t-il ? Est-ce à nous que tu vas te manifester, et non pas au monde ? » (Jn 14, 22).
A aucun moment, Jésus ne les reprend sur la forme. Il ne leur dit pas, comme nous savons si bien le faire entre nous : Tu as vu comment tu me parles ? Est-ce que c’est une façon de me parler ?
Il ne cherche pas à se faire respecter.
Nous avons tous connu, quand nous étions à l’école ou au collège, des élèves qui se faisaient martyriser, on dit aujourd’hui harceler, parce qu’ils n’étaient pas en mesure de se défendre. Je me souviens d’une grande asperge au langage surréaliste, dont l’oncle était le président du Sénat, qui, à huit ans, répondait à ceux qui l’embêtaient : ‘cessez de me faire des niches’ (mot d’ancien français qui veut dire des blagues), ce qui fait que ses copains l’appelaient : oua-oua.
Pourquoi Dieu ne cherche-t-il pas à se faire respecter ?
C’est incompréhensible, et nous pouvons penser à Pilate au moment de la Passion quand Jésus choisit de ne pas répondre : « Tu refuses de me parler, à moi ? Ne sais-tu pas que j’ai pouvoir de te relâcher, et pouvoir de te crucifier ? » (Jn 19, 10). Chacun d’entre nous peut dire au Seigneur : Ne sais-tu pas que j’ai pouvoir de t’ignorer ou de t’adorer ? Pourquoi ne me dis-tu rien ?
Seigneur, ne sais-tu pas que j’ai le pouvoir de te rejeter, de t’abandonner, de faire comme si tu n’existais pas ?
Vous vous souvenez de la réponse de Jésus à Pilate ? Jésus répondit : « Tu n’aurais aucun pouvoir sur moi si tu ne l’avais reçu d’en haut ; c’est pourquoi celui qui m’a livré à toi porte un péché plus grand ».
Oui, tu as ce pouvoir, puisque c’est moi qui te l’ai donné. Mais pense à ceux qui t’ont donné cet exemple et à ceux que tu vas entraîner dans cette voie. C’est ce que signifie la référence à Judas : regarde ceux qui ont abandonné Dieu et vois s’ils te semblent heureux. Et pense aux comptes que tu devras rendre, non pas pour les choix que tu auras faits, toi, mais pour ceux que tu auras entraînés avec toi.
Les deux questions que nous devons nous poser concernent nos modèles et nos disciples. Qui sont nos modèles : qui cherchons-nous à imiter ? Et qui sont nos disciples, que se passerait-il si tout le monde faisait comme nous ?
Voilà ce que Jésus explique à Philippe et d’abord à Thomas : Je suis, dit Jésus, ‘Seigneur’, par mon obéissance au Père. Le plus grand des hommes est celui qui est le plus fidèle et le plus soumis à Dieu. Par une telle attitude, chacun entraîne les autres à faire de même, nous plaçant dans une parfaite relation d’égalité devant Dieu. L’adoration de Dieu, l’obéissance à Dieu crée à la fois l’égalité et l’unité en respectant l’unicité : chacun d’entre nous est unique, aimé de façon personnelle et unique par le Seigneur, non comme un privilège qui nous séparerait les uns des autres, mais comme un lien d’unité entre nous. L’amour du Père éternel est tel que ses enfants se reconnaissent à égalité entre eux.
Je reconnais l’amour de Dieu à ce qu’il nous aime tellement qu’il veut que nous nous aimions entre nous.
Voilà pourquoi nous pouvons répéter sans cesse, au début de chaque journée, de chaque temps de prière : Jésus Christ est Seigneur, à la gloire de Dieu le Père. Jésus Christ est Seigneur, à la gloire de Dieu le Père.
Jésus Christ est Seigneur, à la gloire de Dieu le Père.
Père Christian Lancrey-Javal, curé
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