Cinq. L’évangile de saint Jean construit cinq rencontres des disciples avec Jésus autour de la Passion et la Résurrection : au centre, la 3ème, le soir de Pâques. Elle est suivie, huit jours après, de la conversion de Thomas ; la 5ème est la pêche miraculeuse, où Thomas est là, avec le déjeuner au bord du lac. Les deux premières sont deux repas où c’est Judas qui se distingue : au Jeudi saint, à la sainte Cène, tandis que le 1er repas était l’onction à Béthanie, six jours avant la Pâque. Marie répandit un parfum de grand prix sur les pieds de Jésus, qu’elle essuya avec ses cheveux. La maison fut remplie de l’odeur du parfum. Judas protesta qu’on aurait pu vendre ce parfum pour donner l’argent aux pauvres. Il parla ainsi, non par souci des pauvres, mais parce que c’était un voleur : il tenait la bourse commune et il prenait ce que l’on y mettait (cf. Jn 12, 1-12).
Judas est la figure inversée de Thomas. Pas son jumeau, son contraire : il sort au moment de la Passion et il ne reviendra pas. Thomas était absent le soir de Pâques, mais il revient huit jours après sous la pression des autres disciples.
Ces cinq rencontres, Béthanie, la Cène, le soir de Pâques, huit jours après, puis au bord du lac en Galilée, forment une unité théologique : cinq rencontres, comme les cinq doigts de la main de Dieu, qui ouvrent la suite ininterrompue de nos messes, toutes nos rencontres, ensemble, avec Jésus, qui forment le chemin de l’Eglise et de notre vie.
Judas est la figure inversée de Thomas, sauf qu’on ne sait pas si la miséricorde divine s’est appliquée à son égard comme pour Thomas.
Cette question du sort de Judas m’a été posée à plusieurs reprises durant la Semaine sainte, parce que la Passion selon saint Matthieu évoque son remords. Judas est allé rendre l’argent, en disant : « J’ai péché en livrant à la mort un innocent ». La réponse des grands prêtres fut terrible : qu’est-ce que cela peut nous faire ? C’est ton problème. Et Judas s’est pendu.
L’évangile de saint Jean dit que, lorsque Judas prit la bouchée que Jésus lui tendit, « Satan entra en lui ». Jusqu’au dernier moment, il pouvait encore se raviser, avouer, appeler à l’aide. C’est peut-être ce qui fait la différence entre Judas et Thomas : à la différence de Judas, Thomas exprime ses difficultés : Si je ne vois pas la marque des clous, si je ne mets pas la main dans son côté, non, je ne croirai pas !
Judas n’en a pas fait autant, et il ne pouvait pas en faire autant, car son problème était l’argent. Il était avide à dollars, comme le disait André Breton de Salvador Dali en jouant avec les lettres de son nom. C’est ainsi que commençait la Passion selon saint Matthieu, quand Judas se rendit chez les grands prêtres : « Que voulez-vous me donner, et moi je vous le livrerai ? ».
Nous avons dans la 1ère lecture un tableau idyllique de la première communauté chrétienne où « tous les croyants vivaient ensemble, et ils avaient tout en commun ; ils vendaient leurs biens et leurs possessions, et ils en partageaient le produit entre tous en fonction des besoins de chacun ». Il suffit de lire la suite pour savoir que ça n’a pas duré. L’avertissement est clair : c’est soit l’argent, soit l’amour.
Pourquoi ? On peut le formuler de deux façons différentes : d’abord, l’amour ne se divise pas. On ne peut pas en donner un peu, comme de l’argent. C’est encore plus vrai pour le pardon : on ne pardonne pas ‘un peu’. Imaginez que le Christ dise à Thomas : ‘je te pardonne un peu’ ? Le pardon comme l’amour est une promesse de plénitude.
Mieux encore : rien de ce qui se divise ne peut faire l’unité. L’avantage de l’argent, qui se divise, est son inconvénient : il divise. Nous en faisons tous l’expérience dans nos familles, nos communautés, professionnelles, amicales, sociales.
Il est nécessaire de le rappeler en ce dimanche d’élection, dimanche de la Miséricorde pour tous ceux qui sont engagés en politique, qui consacrent leur vie au bien commun. Nous prions pour eux : ils ont besoin de nos prières. Ils ont droit à notre respect. Ils se sont engagés par générosité. Non par idéologie ni par intérêt, mais par générosité. Tous généreux. Au moins au départ.
On peut faire un parallèle avec les Apôtres : ils ont généreusement tout quitté pour suivre le Christ. Qui peut imaginer que Judas était moins bien que les autres ? Quand Jésus a annoncé que l’un d’eux allait le livrer, ils se sont tous regardés. Ensuite, ils ont tous promis, juré, d’un seul cœur qu’ils ne l’abandonneraient pas. Pierre le premier : « Même si je dois mourir avec toi, je ne te renierai pas ». Et tous les disciples dirent de même. Tous se sont endormis. « Ainsi, vous n’avez pas eu la force de veiller seulement une heure avec moi ? Veillez et priez, pour ne pas entrer en tentation ; l’esprit est ardent, mais la chair est faible ».
Souvenez-vous de ce que Jésus a répondu à Judas, qui contestait l’usage que faisait Marie de son parfum de grand prix : Laisse-la ! Elle avait gardé cela en vue de mon ensevelissement. C’est sa liberté. Et il a ajouté : « Des pauvres, vous en aurez toujours avec vous, mais moi, vous ne m’aurez pas toujours ».
Il n’y a que ceux qui ne se sont jamais vraiment occupés des pauvres qui pensent que l’argent peut tout régler. Il n’y a que ceux qui ne connaissent pas la pauvreté qui croient que c’est un problème technique, que l’argent peut résoudre. L’argent divise et ne fait jamais l’unité.
‘Des pauvres, vous en aurez toujours’ définit la mission que le Christ nous a confiée, à nous ses disciples, d’être à leurs côtés et de leur côté, comme Jésus a choisi de vivre.
Il arrive qu’une personne venant se confesser, s’excusant de ne pas connaître les formules requises, comme s’il y en avait besoin ! sorte, à la fin, de sa poche, un billet pour payer. Autant il est juste qu’il y ait une quête à la messe, qu’il y ait pour les baptêmes un casuel, une offrande, aux frais du bâtiment, autant sont incompatibles l’argent et le pardon, comme l’argent et l’unité.
C’est le grand malentendu de la Politique : n’attendez pas des responsables qu’ils vous donnent ce que Dieu seul peut donner : la plénitude et l’unité.
Vous avez raison d’être choqués par les égarements des responsables politiques. Vous avez raison d’exiger d’eux davantage d’honnêteté, moins de promesses, plus de respect de la parole donnée. Mais ce n’est pas en s’éloignant, en se désintéressant, ni en les stigmatisant qu’on les fera progresser et s’améliorer. C’est en faisant comme les autres Apôtres qui ont tanné Thomas jusqu’à ce qu’il revienne. La seule façon de corriger n’est pas d’exclure mais de réintégrer.
C’est ce que le Christ fait avec chacun de nous, qu’il nous demande de faire entre nous, de faire preuve de bienveillance et de générosité, d’avoir la même volonté de rassembler, d’être indulgent avec les égarés. Seul l’amour fait l’unité.
Père Christian Lancrey-Javal, curé
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