Les disciples sont habitués à ce que Jésus intervienne pour obtenir le calme ou rétablir le silence. Souvenez-vous dimanche dernier, quand il monte dans la barque, le vent tombe. Dans le récit chez saint Marc de la tempête apaisée (Mc 4, 35-41), il apostrophe le vent et il dit à la mer : « Silence, tais-toi ! ». Le vent tomba, et il se fit un grand calme. C’est ainsi qu’avait commencé sa prédication à Capharnaüm : il y avait dans la synagogue un homme tourmenté par un esprit impur qui se mit à crier. Jésus l’interpella vivement : « Tais-toi ! Sors de cet homme » (Mc 1, 23. 25). Bien sûr, c’est en exauçant les prières qu’il met fin aux cris : pensezaux dix lépreux qui crient de loin parce qu’ils n’ont pas le droit de s’approcher (Lc 17, 11-19), ou à l’aveugle sur le bord de la route à la sortie de Jéricho, que « beaucoup de gens rabrouaient pour le faire taire » (Mc 10, 48).
Nous n’aimons pas le bruit. Nous avions dimanche dernier en 1ère lecture le récit de l’apparition de Dieu à Elie à l’Horeb, dans le murmure, le silence d’une brise légère.
Le bruit ne fait pas de bien et le bien ne fait pas de bruit. Cela vaut la peine de relire la page de saint François de Sales qui a inspiré cette maxime : « Les fleuves qui vont doucement coulant en la plaine portent les grands bateaux et riches marchandises, et les pluies qui tombent doucement en la campagne la fécondent d’herbes et de graines ; mais les torrents et rivières qui à grands flots courent sur la terre, ruinent leurs voisinages et sont inutiles au trafic, comme les pluies véhémentes et tempétueuses ravagent les champs et les prairies. (…)
Les bourdons font bien plus de bruit et sont bien plus empressés que les abeilles, mais ils ne font sinon la cire et non point de miel : ainsi ceux qui s’empressent d’un souci cuisant et d’une sollicitude bruyante, ne font jamais ni beaucoup ni bien » (Chapitre 10 de l’Introduction à la vie dévote – 1609).
Avec cette femme, les disciples sont étonnés que Jésus ne réagisse pas, et ne dise rien. Ils lui demandent de la renvoyer : ils se souviennent que, quelques jours plus tôt, lorsqu’ils lui avaient demandé de renvoyer la foule, trop nombreuse à nourrir, Jésus avait multiplié les pains (Mt 14, 15). La fête de la Transfiguration a fait que nous n’avons pas entendu cet évangile il y a deux dimanches, le 6 août.
Ainsi s’explique la réponse de Jésus sur « les brebis perdues de la maison d’Israël » : devant les foules, il avait été pris de compassion parce qu’elles étaient comme des brebis sans berger.
Que se passe-t-il alors ? La même chose qu’à la multiplication des pains, quand il ordonne à la foule de s’asseoir sur l’herbe, saint Luc précise « par groupes de cinquante environ » (Lc 9, 14) : l’ordre se fait et le calme revient. La femme cesse ses cris : elle vient se prosternerdevant Jésus, manifestement assagie et calmée.
Le Seigneur attend pour nous parler qu’on soit au calme, qu’il y ait moins de bruit, autour de nous et dans notre cœur. Quand tu pries, dit Jésus, va au calme, « retire-toi dans ta pièce la plus retirée, ferme la porte, et prie ton Père qui est présent dans le secret » (Mt 6, 6).
Ainsi pouvons-nous comprendre la réponse de Jésus sur le pain des enfants : l’homme ne vit pas que de pain mais de toute Parole qui sort de la bouche de Dieu. Il faut préserver le sacré de cette Parole, que son écoute ne soit pas couverte ni empêchée par le bruit du monde et par les cris des païens.
En disant cela, Jésus savait ce qu’il faisait : il provoquait la foi de cette femme.
Laquelle, et c’est admirable ! répond sur le même registre de la sagesse : toute étrangère qu’elle soit, elle parle le même langage, de l’humilité et du cœur, de la persévérance et de la douceur.
Et Jésus peut conclure : ‘Grande est ta foi’ et ton humilité fait que tu es exaucée.
Voilà, après la marche sur les eaux de la mort dimanche dernier, une deuxième leçon sur le calme à trouver et dont nous avons besoin face aux épreuves de notre vie : ce calme, c’est Jésus.
Une dernière question à présent.
Sans relire le texte, cette scène, à votre avis, se passe-t-elle au cours d’un repas, ou pas ?
Qui dirait oui, à table ? Qui pense que non, sur la route ou ailleurs ?
Eh bien, relisez : on ne sait pas. Rien dans le texte ne l’indique, ni chez saint Matthieu, ni chez saint Marc qui dit simplement que Jésus était entré dans une maison. On peut imaginer la scène : Jésus venait d’arriver ; le groupe des disciples suivait, et la femme qui ne les lâchait pas.
Ce qui laisse penser que c’était un repas, ce sont les paroles sur le pain des enfants et les miettes qui tombent de la table.
C’est aussi le souvenir de cette femme de l’évangile de chez saint Luc venue pleurer aux pieds de Jésus lors d’un repas chez Simon le Pharisien.
Il y a une autre raison, plus profonde, qui tient à cette parole du Livre des Proverbes : « la Sagesse a dressé une table » (Pr 9, 1).
La Sagesse a dressé une table : on en a fait un beau chant de communion, avec le Psaume 33 – « Goûtez et voyez comme est bon le Seigneur ! ». Oui le Seigneur est bon pour tous ceux qui l’appellent, qui se tournent vers lui et qui mettent en lui leur confiance, riches et pauvres, jeunes et vieux, étrangers tous ensemble.
Il n’est besoin que d’humilité pour répondre à son appel, pour faire le calme en notre cœur, pour écouter la voix du Seigneur.
La Sagesse appelle au calme et au partage, à la confiance et à la paix.
Père Christian Lancrey-Javal, curé
Vous avez la possibilité de recevoir les homélies du Père Lancrey-Javal en remplissant ce formulaire