Il n’y a pas beaucoup de dimanches où nous pouvons parler de sexualité. L’évangile, en général, ne s’y prête pas : Jésus en parle très peu, beaucoup moins que d’argent ou de violence, suivant la trilogie des divertissements racoleurs : violence, sexe, richesses. Que l’on retrouve à peine modifiée dans l’évangile de ce dimanche : meurtre, adultère, reniement.
A en croire l’évangile, ce n’est pas le sexe qui gouverne le monde, mais l’argent. C’est lui le nerf de la guerre. On ne se pose pas la question de savoir avec qui coucher quand on est sans logement et qu’on ne sait pas où dormir. Pas même en pensée quand on n’a rien à manger. Au début du Carême, nous entendons le récit des tentations au désert, qui n’ont rien de sexuel, parce qu’après quarante jours de jeûne, ce n’est vraiment pas le sujet. Et à tous ceux qui ont des problèmes de maîtrise de leur sexualité, qui sont esclaves de leurs pulsions, addicts à la pornographie, l’Eglise propose un remède simple et éprouvé : le jeûne. C’est le seul remède efficace.
Il n’en demeure pas moins que l’Eglise a raté la révolution sexuelle. Son propos est inaudible, qui repose sur deux idées-forces : pas de pratique sexuelle en dehors du mariage. Et là, pas de séparation entre union et procréation : la grandeur de la sexualité est d’être virtuellement féconde, ouverte à la vie. Pour les nouvelles générations, cela apparaît totalement irréaliste, à la fois impossible et impraticable, compte tenu, faut-il ajouter, des images et stimulations auxquelles nous sommes tous sans cesse soumis.
Que dit l’évangile ? Que dit l’évangile de ce dimanche ?
Il part de l’état d’excitation de la personne, l’excitation la plus redoutable qui n’est pas la convoitise, le désir sexuel, mais la colère. Moi, dit Jésus, je vous parle de toute personne qui se met en colère contre une autre parce que cela concerne tous les âges, les jeunes comme les vieux, les enfants comme les vieillards, les hommes comme les femmes. Quel est le plus grand obstacle à la fidélité ? C’est la colère. Jésus révèle notre besoin de tendresse.
Fin janvier le Pape François a évoqué, devant des représentants d’Instituts de vie consacrée, l’actuelle et inquiétante ‘hémorragie’ des engagements, abandons de vocation, la crise de la fidélité dans la vie consacrée, et il a dit une de ses causes majeures : « quand un frère ou une sœur ne trouve pas de soutien à l’intérieur de la communauté, il ira le chercher à l’extérieur, avec tout ce que cela implique ». C’est la même chose dans le mariage. L’infidélité se venge d’une déception.
Voyez dans l’évangile de ce dimanche la façon dont la plus grande blessure de la sexualité, l’adultère, prend place entre deux sujets apparemment différents que sont la maîtrise de soi dans la colère, pour renoncer à la violence physique ou verbale, et d’autre part la question du sacré, de l’engagement et de la parole donnée.
C’est l’utopie des préparations au mariage de vouloir réparer en quelques mois ce qui est l’enjeu de toute la vie, en tout cas de l’éducation, que l’exhortation Amoris laetitia appelle la ‘préparation longue’ au mariage, donnée depuis l’enfance par les parents, la famille, l’environnement : une structuration axée autant sur la vie intérieure que sur la vie sociale.
Aux fiancés que j’accompagne, faute de les convaincre de prier, je demande une seule chose : fixer un jour par mois, une date sacrée, de leur rencontre ou du mariage, où chaque mois, à un ou deux jours près, ils se retrouvent tous les deux, en amoureux, en dehors de chez eux, pour se dire leur amour, se souvenir pourquoi ils sont ensemble. Un jour sacré. Et si l’un des deux est à l’étranger ? Si c’est sacré, vous ferez l’aller-retour. C’est le message de l’Eglise sur la sexualité : la fidélité n’est possible que si le sacré est présent et respecté. Qu’y a-t-il de sacré dans votre vie ?
La sexualité est-elle sacrée ? Déjà nous ne croyons pas à sa fonction mécanique ni à son usage ludique. C’est la question : pourquoi ne pas utiliser la sexualité comme un moyen de plaisir, jouir de son corps si tout le monde est d’accord ? Quel mal y a-t-il à cela ? Il n’y a tromperie que pour ceux qui sont engagés, mais si on est disponible, et l’autre aussi, pourquoi ne pas en profiter ?
La réponse de l’Eglise tient en trois mots : l’unité (le salut) de l’âme et du corps. On ne peut pas engager l’un sans engager l’autre. Ce n’est pas notre âme qui a été créée à l’image de Dieu : c’est la personne, âme et corps, la personne toute entière, dont l’identité (le salut) est dans l’unité. Notre âme n’existait pas avant le début de notre corps, et elle subsiste après la mort, séparée du corps, en attente de la Résurrection, de sa réunification. Je vous parlerai une autre fois de Priscillien et de l’hérésie priscillianiste qui faisait de l’âme humaine une partie de Dieu, et refusait la résurrection de la chair : il ne voyait dans le corps qu’une enveloppe, un objet, de souffrance ou de plaisir.
Notre corps n’est pas extérieur à notre âme, qui viendrait y habiter comme dans une maison. La règle d’or de l’évangile s’applique à soi-même : ne vous faites pas à vous-même ce que vous ne voulez pas que les autres vous fassent. Vous ne voulez pas être instrumentalisé ? Vous avez raison. Mais ne vous instrumentalisez pas vous-mêmes, en cherchant une jouissance sexuelle de votre corps comme s’il n’avait pas d’âme. Comme si le sexe n’avait pas d’âme. Corps et âme sont inséparables pour aimer, aimer Dieu, aimer la vie, aimer les autres. Notre corps n’est pas un ‘moyen’ de relation : il est l’expression de notre âme. C’est en ce sens que saint Bonaventure pouvait dire que toute personne est une parole de Dieu. Créée à son image, elle parle de Lui, dans l’unité de son être.
L’évangile de ce dimanche peut se lire comme un traité du langage, car c’est la nature la plus exacte de la sexualité : un langage. La sexualité est la façon la plus intime de communiquer, la plus douce et la plus engageante, la plus aboutie aussi, qui suppose de se parler, de s’écouter, de se connaître, avant de se toucher, de s’embrasser et de coucher.
Telles sont les trois exigences que rappelle l’évangile : le langage humain ne saurait être celui de la violence, l’amour appelle au calme. Le langage humain ne peut pas non plus être celui du mensonge, ni de la tromperie. Le langage humain enfin ne peut être un jour oui, et non le lendemain : il est invitation à durer, préalable à l’éternité.
Voilà ce que nous pouvons tous entendre, quel que soit notre état de vie : la tendresse du cœur qui écoute. La confiance d’une union exclusive, ouverte à la vie, transparente pour chaque enfant sur ses origines. La stabilité du lien sacré, pour que l’amour humain s’ouvre à la vie de Dieu. Nous avons tous besoin de tendresse, de confiance et de stabilité.
Père Christian Lancrey-Javal, curé
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