Les réactions n’ont pas beaucoup changé depuis deux mille ans : un de mes filleuls médecin en service de réanimation me raconte les réactions d’incompréhension des proches qui ne disent pas ‘si vous aviez été là’ mais ‘si vous aviez fait ce qu’il fallait’, il ne serait pas mort. L’autre reproche fait à Jésus – « Lui qui a ouvert les yeux de l’aveugle, ne pouvait-il pas empêcher Lazare de mourir ? » – ressemble à ce qu’une fidèle qui s’occupe de sa mère garde comme une blessure ouverte ce que ses frères lui avaient dit pour leur père : ‘si tu ne l’avais pas mis dans cet hôpital, il ne serait pas mort’. Ils ne font rien, mais vous, quoi que vous fassiez, vous avez tort.
Arrêtons-nous sur la phrase que prononcent Marthe et Marie : « si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort ». Ce n’est pas : ‘si tu étais arrivé plus tôt’, ‘dès qu’on t’a prévenu’. Ce n’est pas son retard qui est en cause, mais la certitude qu’en présence de Jésus, avec lui, rien de mauvais ne pouvait vous arriver : vous tombiez malade, il vous guérissait. D’ailleurs, vous ne tombiez pas malade en sa présence. Il suffit de lire l’évangile : en trois ans, aucun raté, zéroperte, aucun accident. Et jusqu’à la Passion, jusqu’au moment de son arrestation, quand un des disciples « frappa le serviteur du grand prêtre et lui enleva l’oreille droite, Jésus, lui touchant l’oreille, le guérit » (Lc 22, 51).
N’est-ce pas la protection que nous attendons de Dieu ?
N’est-ce pas en partie la démarche des parents si loin de Dieu qui font baptiser leurs enfants ?N’est-ce pas la démarche de ces fiancés dont on dit trop vite qu’ils se marient pour la galerie alors qu’ils veulent protéger leur amour : la protection du divin ? N’est-ce pas ce qui motivele passage à l’église pour des obsèques des familles qui demandent une ‘petite bénédiction’qui ne dure pas trop longtemps ? ‘Non, pas de messe, non’ – et nous ne pouvons pas les forcer alors que c’est la Messe qui sauve ! C’est la foi qui sauve et donc la messe, le sacrifice du Christ qui fait que nous pourrons nous retrouver auprès de Dieu, après avoir été plongés à chaque messe dans la mort et la résurrection du Christ !
Cela dit, pour être honnête et avoir vu (et fait aussi) des célébrations sans âme et sans cœur – on n’est pas forcés de pleurer comme Jésus mais quand même ! un minimum d’humanité ! – je comprends qu’on préfère parfois le plus bref possible …
Vous voulez dire, mon père, qu’il vaut mieux pas de messe qu’un truc bâclé ? Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : même dans la pire des situations, le Christ est présent. C’est nous qui ne le sommes pas. L’absence de Dieu est une invention des hommes.
Quelle est la conversion à laquelle nous sommes appelés ?
Convertissez-vous dit Jésus. Mais se convertir à quoi ?
Voyez comment Marthe, puis Marie sur son conseil : c’est beau ! quand elle lui dit tout bas : « Le Maître est là, il t’appelle », – comment les deux sœurs sortent à la rencontre du Seigneur. L’usage voulait qu’on rende visite à la famille endeuillée qui restait chez elle : le temps du deuil est un temps fermé, reclus – où on ne sort pas, pendant un an. Ce temps n’est pas perdu. On ne sortait que pour aller au cimetière et le texte explique : « Les Juifs qui étaient à la maison avec Marie et la réconfortaient, la voyant se lever et sortir si vite, la suivirent ; ils pensaient qu’elle allait au tombeau pour y pleurer ». Elles sortent pour aller à Jésus comme certains d’entre vous viennent dans cette église parce que c’est là qu’a eu lieu la messed’Adieu d’un proche qui leur manque tant. Et dimanche après dimanche notre cœur se laisse enseigner, réconforter, relever par la liturgie : la célébration de la mort et la résurrection du Christ. Il n’est pas le Dieu des morts mais des vivants !
Notre foi en la résurrection n’est pas fondée sur le retour à la vie de Lazare mais sur ce qu’ilsignifie du lien de Jésus à son Père, de l’amour du Père pour le Fils et du Fils pour le Père : Je sais, dit-il, « je le savais bien, moi, que tu m’exauces toujours ».
Quel est dans cette page d’évangile la parole de Jésus que vous allez prendre pour votre prière ? Est-ce cette promesse qui résume notre Espérance : « Si tu crois, tu verras la gloire de Dieu ». Ou est-ce sa parole du début : « Cette maladie ne conduit pas à la mort » ? Elle ne conduit pas à la mort si nous la vivons avec le Christ « pour la gloire de Dieu » comme toute notre vie. N’est-ce pas ce à quoi nous devons nous préparer plus que nous attendre, nous préparer et nous convertir : à voir la Gloire de Dieu ?
Qu’est-ce que vous préférez : Qu’il nous empêche de mourir ? Ou qu’il nous ressuscite ?Qu’il nous empêche de pécher ? Ou qu’il nous pardonne ? Qu’il décide pour nous ? Ou qu’il attende notre réponse ?
Je vous propose de rapprocher cette scène de celle que l’évangile de saint Marc raconte quandJésus, après la Transfiguration, redescendant de la montagne, est apostrophé par un homme dont le fils, en apparence épileptique en réalité possédé, frôle sans cesse la mort : « Si tu peux quelque chose, viens à notre secours, par compassion envers nous ! » Jésus lui déclara : « Pourquoi dire : “Si tu peux”… ? Tout est possible pour celui qui croit » Aussitôt le père de l’enfant s’écria : « Je crois ! Viens au secours de mon manque de foi ! » (Mc 9, 22-24).
Moi, je suis la résurrection et la vie, dit Jésus. Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra ; quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela ?
Puissions-nous répondre : Je crois Seigneur ! Viens au secours de notre manque de foi !
Père Christian Lancrey-Javal, curé
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