Quand le 19 mars, la fête de saint Joseph, tombe un dimanche, le dimanche de Carême prévaut dans la hiérarchie des fêtes sur la fête du Saint qu’on reporte au lendemain, lundi. Mais nous ne pouvons pas ne pas en tenir compte dans notre prière et dans notre prédication : de même, lorsqu’un événement exceptionnel se produit, le prêtre modifie son homélie. Je me souviens, après les attentats du 13 novembre, de la stupeur provoquée par les prêtres qui n’en avaient pas parlé le dimanche … Enfin ! Nous ne sommes pas hors sol ! Nous ne parlons pas dans le vide ! J’espère.
Où est saint Joseph dans cet évangile ?
Il est, il a été un aveugle-né. C’est l’interprétation traditionnelle de cette guérison : la libération du péché originel. Dans cinq des six sermons qu’on a de saint Augustin sur ce texte, l’aveugle de naissance est le genre humain.
C’est la différence de Joseph avec Marie qui en avait été préservée : elle est la seule créature à avoir été préservée du péché originel par une grâce qui venait déjà de la mort de son Fils (dogme de l’Immaculée Conception). Pas Joseph.
La question est de savoir quand : à quel moment est-ce que Joseph a été délivré du péché originel ?
Pour les Saints de l’Ancien Testament, on peut relever des événements décisifs, proprement ‘cruciaux’, quand par exemple Abraham s’est rendu au Mont Moriah pour offrir son fils en sacrifice : « parce que tu as fait cela, parce que tu ne m’as pas refusé ton fils, ton unique, dit le Seigneur, je te comblerai de bénédictions » (Gn 22, 17).
Pour Moïse quand il s’est retrouvé coincé devant la Mer Rouge, à la merci de Pharaon. Les fils d’Israël crièrent vers le Seigneur et dirent à Moïse : « Quel mauvais service tu nous as rendu en nous faisant sortir d’Égypte ! » (Ex 14, 11).
Nous entendons ces deux récits dans la nuit de Pâques, avant le baptême des Catéchumènes.
Le roi David a eu le cœur déchiré quand le fils de son union avec Bethsabée a été frappé par la maladie, ou quand son autre fils Absalon s’est retourné contre lui.
Terrible épreuve des parents qui en amène certains à s’en laver les mains, comme les parents de l’aveugle : « comment peut-il voir, qui lui a ouvert les yeux, nous ne le savons pas. Interrogez-le, il est assez grand pour s’expliquer ».
Il faut avoir éprouver l’impuissance et l’angoisse pour crier vers le Seigneur, on le lit dans tant de psaumes, le Psaume 33 en particulier :
« Le Seigneur entend ceux qui l’appellent : de toutes leurs angoisses, il les délivre ».
« Un pauvre crie ; le Seigneur entend : il le sauve de toutes ses angoisses ».
« Je cherche le Seigneur, il me répond ; de toutes mes frayeurs, il me délivre ».
Le sacrifice d’Abraham ne dit rien de sa prière et son combat intérieur, des affres ressenties au long du trajet qui a duré trois jours, mais qu’on peut imaginer comme on peut imaginer le tourment de Joseph, le dilemme dans lequel il s’est trouvé lorsqu’il a su que Marie était enceinte par l’action de l’Esprit Saint. Seul devant ses responsabilités, devant son indignité, personne à qui parler.
Nous fêtons saint Joseph le 19 mars une semaine avant l’Annonciation : il ne suffisait pas que Marie dise Oui, il fallait aussi trouver, préparer l’homme juste capable de veiller sur l’enfant et sa mère. Qu’est-ce qu’un bon père ? Celui qui s’inquiète et fait confiance.
L’évangile de saint Matthieu raconte la venue de l’Ange dans un songe parce que Joseph était dans la nuit, le moment où les angoisses affluent. Ceux qui ont été en prison en témoignent : la nuit est terrible. C’est vrai aussi à l’hôpital. Qui n’a pas fait l’expérience des angoisses de la nuit – n’a jamais été malade, endetté, menacé, abandonné. J’étais en prison, j’étais malade, j’étais pauvre, dans les ténèbres et l’angoisse.
Il est bon de comparer cette guérison de l’aveugle-né avec une autre guérison d’aveugle de l’évangile, de Bartimée à la sortie de Jéricho : « Fils de David, Jésus, prends pitié de moi ! ». Jésus s’arrête : ‘Appelez-le’. L’aveugle jette son manteau, « bondit et courut vers Jésus » (Mc 10, 50). Il bondit de joie ! Mon âme exalte le Seigneur, exulte mon esprit en Dieu mon libérateur !
Voyez comment la délivrance intervient dans une situation de blocage. Libérer signifie remettre en marche. Ces deux aveugles sont assis, bloqués : à la porte du Temple à Jérusalem, au bord de la route à la sortie de Jéricho, deux lieux symboliques. Jésus les relève : il les remet debout, sur leurs pieds, en route.
Les deux étaient des mendiants, pour survivre. Parfaite image du désir le plus profond de l’être : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » demande Jésus à Bartimée (Mc 10, 50). La liberté a besoin de ce désir : Seigneur, aide-moi ! Combien de fois par jour crions-nous ainsi vers lui ?
Les deux font confiance. La liberté est un don de Dieu, à ceux qui mettent en lui leur confiance.
Ils étaient méprisés, maltraités. Ce n’est pas de cela qu’ils sont délivrés, plutôt de leur sentiment de solitude et d’abandon. Dieu s’est approché d’eux.
Cette liberté recouvrée n’est pas celle qu’Israël attendait, du peuple tout entier. Elle n’est pas plus celle des impies ou des païens : « que cette liberté ne soit pas un prétexte pour votre égoïsme » dit saint Paul, « au contraire, mettez-vous, par amour, au service les uns des autres » (Gal 5, 13). C’est une liberté intérieure, liberté d’aimer et d’être aimé, liberté de conscience car c’est notre conscience que le Christ est venu délivrer, du péché et de l’angoisse.
Se relever : debout, en route ! Implorer Dieu : Seigneur aide-moi ! Faire confiance au Seigneur : il t’appelle ! Retrouver la joie d’une conscience purifiée.
« Seigneur, répands sur nous ta miséricorde, en délivrant notre conscience de ce qui l’inquiète et en donnant plus que nous n’osons demander ».(*)
(*) Prière d’ouverture du 27ème dimanche ordinaire
Père Christian Lancrey-Javal, curé
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