Je ne crois pas que Marthe était une très bonne cuisinière, à force de s’occuper davantage du bon ordre de sa maison que du bon goût des plats. J’ai parmi mes amis d’excellents cuisiniers qui accordent une attention excessive aux produits et aux plats, jamais ils ne nous disent, pendant le coup de feu : venez aider ! Au contraire ils mettent un point d’honneur à tout faire, et on attend parfois longtemps comme dans certains restaurants. Est-ce que ça vaut le coup ? En énergie et en temps passé, je ne suis pas très sûr. En tout cas, je ne les vois pas en Marthe : quand bien même ils auraient besoin d’aide, ils ne demanderaient à une rêveuse comme Marie de venir dans leurs pattes.
Chez Marthe on était bien mais ce n’était pas très bon. Elle ne pouvait pas comme Abraham dans la 1ère lecture confier à un cuistot la préparation d’un petit veau aux olives. D’ailleurs saint Luc ne parle pas du repas : il dit que Marthe était accaparée par les multiples occupations du service. Ce qui était important pour elle était que les choses soient en ordre. Accessoire que ce soit goûtu. Je pense à toutes les fois où on m’a dit d’un défunt que c’était un bon vivant : ‘un gourmet pas un gourmand’, avant que je ne comprenne qu’il n’était pas très croyant. Aux préparations d’obsèques, lorsqu’on me dit : épicurien, je traduis : pas très chrétien. Davantage attaché aux plaisirs de la table qu’aux commandements de Dieu. Adorant ce qui est bon à boire et à manger.
Marthe était une femme de devoir et le premier devoir est un devoir de justice. Elle intervient auprès de Jésus pour lui faire remarquer : ‘je travaille et ma sœur ne fait rien ; ce n’est pas juste’. Ce serait tout ce qu’il y a de plus banal s’il n’y avait de sa part à elle, dans l’évangile de saint Jean, cette extraordinaire profession de foi au moment de la mort de son frère Lazare, quand Jésus lui dit : « Moi, je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra ; quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela ? ». Marthe répond : « Oui, Seigneur, je le crois : tu es le Christ, le Fils de Dieu, tu es celui qui vient dans le monde » (Jn 11, 27).
Voilà qui est Marthe : une femme de devoir et de foi. La femme que j’aurais voulu être.
Quand j’entends des personnes nous reprocher à nous diverses formes d’intransigeance voire d’intolérance, d’être ici comme Marthe qui veut que sa sœur, ses proches soient et fassent comme elle, – je suis tenté de leur dire : ayez la foi et on verra.
Les incroyants ne tolèrent pas que nous puissions être intolérants : pas de tolérance pour les intolérants ! La formule d’origine est : ‘Pas de liberté pour les ennemis de la liberté’ du sanguinaire Saint-Just, l’archange de la terreur. Nous ne sommes pas ennemis de la tolérance : nous sommes animés d’un amour passionné pour Dieu !
La bonne réponse est la douceur de Jésus, la tendresse avec laquelle il reprend Marthe, – avec le redoublement de son prénom, comme tout au long de la Bible : Samuel, Samuel. Abraham, Abraham. Essayez à votre tour : laissez le Seigneur vous appeler en répétant votre prénom. Sentez la douceur, l’onction, la tendresse de l’amour de Dieu. C’est bien meilleur que tous les meilleurs repas du monde !
Jésus reprend Marthe parce que Marie était assise à ses pieds à lui à l’écouter : demandez-vous ce que Jésus aurait répondu si Marie avait été dans un coin ou au jardin, à se distraire ou à papoter ?
J’avais un confrère qui s’énervait quand quelqu’un lui disait : Moi je suis comme Thomas, je ne croirai pas sans avoir vu. Il s’exclamait : Alors soyez comme Thomas jusqu’au bout, jusqu’aux frontières des Indes et de la Chine ! Allez annoncer l’évangile comme Thomas et donnez votre vie pour le Christ ! On pourrait s’en inspirer quand une personne dit qu’elle est comme Marthe, accaparée par les occupations du service : Alors soyez comme Marthe jusqu’au bout ! Jusqu’à sa profession de foi : Oui, Seigneur, je le crois : tu es le Christ, le Fils de Dieu, tu es celui qui vient dans le monde !
Quant à savoir si nous sommes intransigeants ou intolérants, à vouloir que tout le monde suive le Christ ? Qui sait ? Peut-être qu’au Dernier Jour, beaucoup nous remercieront d’avoir souffert de notre amour passionné pour Dieu.
Grands-parents, dites cela à vos petits-enfants : vous nous remercierez plus tard d’avoir dû partager notre foi en Dieu.
Oui, amis incroyants, soyez un peu plus tolérants pour ceux qui comme nous brûlent d’amour pour Dieu.
Et nous, soyons comme Marthe brûlants de foi en Dieu.
Père Christian Lancrey-Javal, curé
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