Dans la 1ère tentation, où est le problème ? Tu as faim, jusqu’à en mourir, tu es le Fils de Dieu et tu peux faire que ces pierres deviennent des pains : n’avons-nous pas l’obligation de préserver notre vie ? Nul ne fait de miracle pour lui-même ? Où est-ce que vous êtes allés chercher ça ? Il est bien sorti de l’eau du rocher que Moïse sur l’ordre de Dieu a frappé (Ex 17, 3-7). S’il peut sortir de l’eau d’un rocher, signe que d’un cœur dur comme de la pierre il peut sortir de l’amour, évidemment que des pierres peuvent devenir des pains ! Elles peuvent même devenir les témoins de l’amour de Dieu, comme nous l’entendrons au dimanche des Rameaux quand Jésus est acclamé par ses disciples : « si eux se taisent, les pierres crieront » (Lc 19, 40).
Dans la 2ème tentation, d’accord : on comprend que Jésus refuse quand le diable lui demande de se prosterner devant lui. Mais dans la 3ème tentation, jette-toi dans le vide, des anges t’empêcheront de t’écraser, où est le problème également ? Jésus n’a-t-il pas marché sur les eaux alors que les vents soufflaient et que les flots menaçaient la barque ? (Mt 14, 22-33) Et n’a-t-il pas proposé à Pierre de le rejoindre en marchant sur l’eau ? Quelle différence ?
Des trois tentations, seule la deuxième peut sembler répréhensible, ‘refusable’, de même que des trois satisfactions qu’elles représentent, assouvir sa faim, avoir le pouvoir et la gloire, jouer avec la mort – c’est la deuxième qui est la moins recherchée par nos contemporains : sans doute ont-ils pris conscience de tous les tracas inhérents à l’exercice des responsabilités. Comment comprendre autrement que la politique n’attire plus les meilleurs et que les candidats soient devenus si ‘normaux’ ? Tandis qu’émissions culinaires et d’aventures remportent de tels succès, au moins d’audience …
J’y reviendrai dimanche prochain, pour m’attacher à un sujet qui est la condition d’un Carême réussi, un sujet transversal à tous les milieux et les univers : la nécessité de savoir refuser, apprendre à dire non. Pas seulement aux tentations. Mais à toutes sortes d’invitations où le diable ne joue aucun rôle, par exemple quand vous m’invitez à dîner.
C’est un effort de Carême car refuser nous est pénible à nous Chrétiens qui cherchons à faire plaisir, à rendre service, à nous rendre utiles et agréables. Mon propos ne concerne pas ceux qui sont déjà champions du refus, qui s’arrangent pour qu’on ne leur demande plus rien. Pour eux l’effort est inverse, qui devront chercher, comme Jésus, à dire oui à Dieu, et à leurs frères.
Voudriez-vous, seul ou avec d’autres, dans un de ces petits groupes de partage indispensables au progrès dans la foi, relire un évangile, de saint Luc ou saint Marc, et regarder toutes les fois où Jésus accepte, et les cas où au contraire il refuse de répondre ou d’agir. Quand est-ce que Jésus refuse ? Et de quelle façon ?
On trouve sur internet des techniques pour dire non. La plus consensuelle consiste à proposer une alternative – c’est plus courtois que de refuser. Par exemple, dans la 1ère tentation, Jésus aurait pu répondre au diable : et pourquoi tu ne m’apportes pas toi-même à manger ? Oui, pourquoi ?
Il faut, disent ces mêmes recommandations, prendre le temps de réfléchir, ne pas répondre trop vite. Le diable le sait qui joue sur le vertige qu’on peut éprouver après quarante jours sans manger, le vertige du pouvoir, le vertige du vide.
Il faut, paraît-il, s’exprimer avec fermeté, tenir bon dans le refus, s’en tenir à sa décision. Ce qui suppose qu’on soit vraiment convaincu que c’est la bonne décision.
Autant de précieux conseils qui reposent, les auteurs le soulignent, sur la confiance en soi, davantage, c’est moi qui l’ajoute, que sur la confiance en Dieu.
Pourquoi Jésus refuse-t-il ? Parce que cela vient du diable ? J’avais lu la réponse qu’un prêtre faisait à une paroissienne qui le félicitait pour son homélie : ‘Merci, le diable me l’a déjà dit’. Cela m’avait beaucoup choqué.
Jésus est le maître du juste refus, et l’évangile nous en donne trois conditions.
La première est d’anticiper. Jésus n’est pas surpris par le diable. Pour saint Luc, il est présent depuis le début, dès l’arrivée de Jésus au désert où, « pendant quarante jours, il fut tenté par le diable ». Le diable n’est jamais loin. « Soyez sobres, veillez : votre adversaire, le diable, comme un lion rugissant, rôde, cherchant qui dévorer » (1 P 5, 8). Résistez-lui avec la force de la foi : ne vous laissez pas surprendre !
Je pense à ce haut responsable publiquement attaqué et profondément déstabilisé qui espérait que ceux qui l’avaient nommé allaient le réconforter. Ils lui ont dit de démissionner. Liquidé. Pas très agréable pour ceux qui lui étaient confiés.
Je pense à tous ces récits navrants de situations qu’il aurait fallu éviter, la chambre d’hôtel ou l’appartement privé d’une personne ayant autorité. Votre maman ne vous avait pas prévenue ?
Je pense à la façon dont la défense de notre pays est organisée sans que la population y soit associée ni préparée.
La deuxième condition du refus consiste à ne pas sous-estimer la difficulté. D’autant que la plupart de nos tentations viennent de nos proches, parents ou amis, qui croient bien faire. Quand Jésus annonce sa Passion, Pierre s’interpose : « Dieu t’en préserve, Seigneur ! ». « Passe derrière moi, Satan ! Tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes » (Mt 16, 23). Ecoute et sors du déni.
La troisième condition se trouve dans les soutiens à mobiliser, les appuis à trouver. Pourquoi avons-nous tant de mal à refuser ? Pour la même raison que nous avons tant de mal à prier : par manque d’humilité. Nous ne savons pas demander de l’aide. Dire : Seigneur aide-moi. Et au Tentateur va-t-en.
Humblement demander, humblement refuser.
Père Christian Lancrey-Javal, curé
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