Dans l’imaginaire biblique, la vigne est d’abord synonyme de bonheur et de joie, symbole du vin et de la fête à venir, qu’est l’énorme grappe de raisins que les envoyés en Terre promise rapportèrent de la vallée d’Eshkol, ainsi qu’on le lit au Livre des Nombres : « Ils la portaient à deux au moyen d’une perche. Ils avaient aussi cueilli des grenades et des figues. On appela cet endroit la vallée d’Eshkol (c’est-à-dire : la Grappe) à cause de la grappe que les fils d’Israël avaient coupée là-bas. Au bout de quarante jours, ces envoyés revinrent, après avoir exploré le pays. Ils allèrent trouver Moïse, Aaron et toute la communauté des fils d’Israël, à Cadès, dans le désert de Parane. Ils firent leur rapport devant eux et devant toute la communauté, et ils leur montrèrent les fruits du pays. Ils firent ce récit à Moïse : ‘Nous sommes allés dans le pays où tu nous as envoyés. Vraiment, il ruisselle de lait et de miel, et voici ses fruits’ » (Nb 13, 23-26).
Le deuxième signe de la vigne est la transmission d’un bien et d’un savoir-faire, symbole précieux d’héritage et de tradition à protéger, que dit l’histoire de Naboth au 1er Livre des Rois : « Naboth, de la ville de Yizréel, possédait une vigne à côté du palais d’Acab, roi de Samarie. Acab dit un jour à Naboth : ‘Cède-moi ta vigne ; elle me servira de jardin potager, car elle est juste à côté de ma maison ; je te donnerai en échange une vigne meilleure, ou, si tu préfères, je te donnerai l’argent qu’elle vaut’. Naboth répondit à Acab : ‘Que le Seigneur me préserve de te céder l’héritage de mes pères !’ » (1 R 21, 1-3).
Troisième signe de la vigne, l’attention, le travail, le soin qu’elle requiert, que chante le Livre du prophète Isaïe, au début du chapitre 5 : « Je veux chanter pour mon ami le chant du bien-aimé à sa vigne. Mon ami avait une vigne sur un coteau fertile. Il en retourna la terre, en retira les pierres, pour y mettre un plant de qualité. Au milieu, il bâtit une tour de garde et creusa aussi un pressoir. Il en attendait de beaux raisins » (Is 5, 1-2).
Ces trois histoires ont ceci en commun qu’elles tournent mal : les envoyés de Moïse noircissent le tableau de leur vision prometteuse. Le roi Acab fait assassiner Naboth pour s’emparer de son bien. Et le chant du prophète se change en lamentation au regard du résultat obtenu : « Il en attendait de beaux raisins, mais elle en donna de mauvais ». Le jugement est sévère, à la mesure de la déception : « La vigne du Seigneur de l’univers, c’est la maison d’Israël. Le plant qu’il chérissait, ce sont les hommes de Juda. Il en attendait le droit, et voici le crime ; il en attendait la justice, et voici les cris » (Is 5, 7).
A ces trois signes, de la joie à venir, de la tradition perpétuée, et du soin constant, attentif et délicat, l’avenir, le passé, l’instant présent, il faut donc ajouter cette dimension de souffrance sinon rédemptrice, purificatrice.
Le Christ Jésus incarne ces quatre symboles. « Je suis la vigne » signifie qu’il est la promesse de bonheur ; il est l’accomplissement de l’histoire, et il est l’attention amoureuse du vigneron, en étant celui qui donne sa vie pour nous, qui nous a aimés jusqu’au bout, interpellant les disciples qui s’en retournaient tout tristes de Jérusalem le jour de Pâques : « Esprits sans intelligence ! Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela pour entrer dans sa gloire ? » (Lc 24, 26).
L’ensemble forme un tout.
J’ai connu une paroissienne d’une piété magnifique, qui allait tous les jours à la messe, disait tous les jours son chapelet, et dont la piété s’est accompagnée toute sa vie d’une admirable charité pour les pauvres, comme en ont témoigné ses enfants qui n’ont cependant pas supporté qu’elle leur paraisse accorder plus de valeur à la souffrance qu’à la joie.
Cette femme, presque centenaire, 17 ans en 40, répétait : ‘Vous n’avez pas fait la guerre’. Sa devise était : ‘Tout pour vous mon Dieu’, mais son Dieu était terrible. Lorsqu’une de ses filles à vingt ans est partie vivre avec un divorcé, elle lui a interdit de revenir, ne voulant plus la voir. Quand sa fille s’est séparée, sept ans plus tard, la mère a triomphé, certaine d’avoir bien fait. Elle a dégoûté toute sa famille de la religion, à force, m’ont-ils dit, de les culpabiliser, d’autant que, quand elle ne disait rien, elle soupirait. Elle manifestait sa réprobation par d’innombrables soupirs qui les exaspéraient. Résultat : plus un seul Catholique dans la famille, petits-enfants, arrière-petits-enfants pas baptisés.
La messe d’enterrement n’a pas été facile devant une assemblée rendue hostile à l’idée même de sacrifice, à qui il manquait l’essentiel : la miséricorde divine, la gratitude pour ceux qui nous ont précédés, et le soin attentif et constant de ceux qui nous entourent. Dieu est Amour.
Le bonheur à venir, la gratitude des biens reçus et l’attention de l’instant présent rejettent comme un sarment sec la souffrance hors du temps.
Père Christian Lancrey-Javal, curé
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