La Parole de Dieu est première. Dieu est premier, il parle en premier, sa Parole est première, c’est une parole d’amour.
A chacune de nos célébrations, quelles qu’elles soient, nous commençons par nous asseoir pour écouter l’amour de Dieu pour nous, le chant du bien-aimé. Le chant d’entrée pour unir nos voix, le mot d’accueil pour se mettre en présence du Seigneur, le rite pénitentiel suivi du Gloire à Dieu sont des rites préparatoires.
A chaque préparation d’obsèques, je préviens les familles que les témoignages auront lieu à la fin : la Parole de Dieu est première. Petite dispute sur le sujet avec un confrère qui les place au début pour pouvoir corriger après ce qu’il a entendu. Avoir le dernier mot ? Misère ! Discussion plus fraternelle avec le frère d’un défunt : ‘Vous comprenez, je vais penser pendant toute la célébration à ce que je vais dire et je n’aurai pas l’esprit libre’. Je comprends parfaitement et c’est pourquoi le rôle du prêtre est de rencontrer les familles pour parler en leur nom, se faire leur interprète devant Dieu. Et inversement : se faire leur interprète de la Parole de Dieu, des textes choisis. Le prêtre est un interprète. Un guide-interprète.
J’ai participé à un kaddish dans la famille d’un vieil homme juif qui se savait redevable de l’action d’un prêtre qui l’avait sauvé pendant la guerre. Pendant une semaine, tous les soirs les amis sont venus entourer la famille, réciter le kaddish qui n’est pas tant prière pour les morts que la sanctification du Nom : Que ton Nom soit sanctifié. Un ami vietnamien catholique m’a raconté que pour son père tout le village était venu prier tous les soirs pendant quarante jours. Ce n’est pas une affaire de religion mais d’humanité : entourer, consoler les affligés.
Dans cette famille juive, le kaddish était expédié, un peu à la façon dont on mitraillait à la fin des messes le Prologue de saint Jean, concours de rapidité auquel je mets quiconque au défi d’y comprendre quoi que ce soit. En sortant, je me suis réjouis que nos messes ne soient plus en latin, qu’on comprenne ce qu’on dit, surtout quand nous, prêtres, servons d’interprètes, dans les deux sens, de la volonté de Dieu pour nous, et, auprès de Lui, de nos angoisses et de nos joies.
Dans les Actes des Apôtres, dans un passage qui n’est pas lu le dimanche, on voit un homme s’en retourner de Jérusalem en lisant le prophète Isaïe. Son char avance au pas, le diacre Philippe le rattrape en courant, sous l’action du Saint-Esprit : « Est-ce que tu comprends ce que tu lis ? » L’autre répond : « Comment pourrais-je s’il n’y a personne pour me guider ? ». Il invite Philippe à s’asseoir à côté de lui (Ac 8, 31).
Il se trouve que la lecture de cet homme correspond à son état, puisque cet homme, esclave malheureux, eunuque de la reine d’Ethiopie, lisait les chants du Serviteur souffrant. Je sais que ce n’est pas votre cas : vous ne vous retrouvez pas forcément dans les textes de la messe. Vous ne vous sentez pas toujours concernés, parfois au contraire bousculés. Ajoutons un troisième phénomène, de défiance soit de l’interprétation que nous en donnons, soit des interprètes eux-mêmes.
Les évêques de France ont publié avant la Semaine sainte une lettre aux fidèles à propos des crimes de pédophilie, pour demander pardon d’avoir laissé des loups entrer dans la bergerie et de s’être eux-mêmes enfuis. La monstruosité de ces crimes me fait presque regretter le temps où prêtres et religieux pouvaient porter des cilices et se donner la discipline plutôt que de céder à leurs pulsions.
Y a-t-il surtout un lien entre ces trois phénomènes que je viens de mentionner, à savoir d’une part que nous soyons de moins en moins concernés par ces questions religieuses universelles de vie et de mort, d’espérance et de pardon. De moins en moins concernés et engagés, collectivement.
Deuxième phénomène de désagrégation, le déni de l’étroitesse de nos communautés : dans leur majorité peu accueillantes, peu solidaires, à faible soutien mutuel. Cette étroitesse est naturelle ; son déni est nouveau. Pourquoi refuser de reconnaître qu’il y a beaucoup de gens que nous n’aimons pas ? Comment se convertir de ce qu’on n’assume pas ?
Troisième phénomène de désagrégation, le désintérêt pour ce qui est grand, l’indifférence à la grandeur. Ce dimanche de prière pour les vocations l’est pour toutes les vocations, sacerdotales et religieuses, tous ceux et celles qui sont appelés à passer le plus clair de leur temps à prier, ne rien faire et ne rien dire sans avoir prié, et s’en retourner prier. Le prêtre est l’homme de la verticalité.
Prier, c’est écouter le Christ. Il est la Parole de Dieu : il n’est pas l’interprète, il est la Parole incarnée. Quand, au Dernier repas, il eut lavé les pieds de ses disciples, il reprit son vêtement, se remit à table et leur dit : « Comprenez-vous ce que je viens de faire pour vous ? » (Jn 13, 12). Faites cela en mémoire de moi.
En mémoire de moi et dans la foi. La bénédiction solennelle de la Messe de Pâques disait : « Que demeure en vous la grâce de Dieu, la grâce pascale qu’il vous offre aujourd’hui : qu’elle vous protège de l’oubli et du doute ».
Voilà peut-être la plus belle devise pastorale : protéger de l’oubli et du doute. Oublier quoi ? Que le Christ prend soin de la brebis perdue et blessée autant que du troupeau tout entier. Douter de quoi ? De la bonté de Dieu, et s’agissant des vocations, de la justesse de son appel.
La prière est le rempart à l’oubli et au doute. Pas une prière machinale du bout des lèvres, qui ne viendrait pas du plus profond de nous-mêmes et dont rien ne resterait gravé dans notre cœur. Nous ne devrions pas sortir de la messe, la plus haute forme de prière, sans avoir reçu une Parole de la part du Seigneur.
Vous pourriez faire ça chaque dimanche : après être allé à la messe, l’avoir suivie à la télévision ou avoir pris le temps de lire les textes chez vous, envoyez une phrase, la parole qui vous a touché, à un proche, un ami. Imaginez que vous sortiez de chez le médecin : que vous a-t-il dit, demande toute personne qui s’intéresse à vous. Rien ? Tout va bien ?
Que demeure en vous l’amour de Dieu : qu’il vous protège de l’oubli et du doute.
Père Christian Lancrey-Javal, curé
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