« Je vous ai choisis, je vous ai établis.
Pour que vous alliez et viviez de ma vie
Demeurez en moi, vous porterez du fruit.
Je fais de vous mes frères et mes amis ».
Qu’est-ce qui fait le succès d’un chant de messe ? Les paroles, tirées de l’évangile, la mélodie qui les met en valeur ? « Je vous ai choisis » : par trois fois dans l’évangile de saint Jean, Jésus le dit à ses disciples, à trois moments décisifs.
A la profession de foi de Pierre – « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle » – Jésus leur dit : « N’est-ce pas moi qui vous ai choisis, vous, les Douze ? » (Jn 6, 70)
Au lavement des pieds, « heureux êtes-vous, si vous le faites. Ce n’est pas de vous tous que je parle. Moi je sais quels sont ceux que j’ai choisis » (Jn 13, 18).
A l’envoi en mission : « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi ; mais c’est moi qui vous ai choisis et établis, afin que vous alliez, que vous portiez du fruit, et que votre fruit demeure » (Jn 15, 16).
Jésus les a choisis : il ne les a pas séduits. Ces trois temps déterminants disent en effet un acte libre et même inspiré d’adhésion. Le sens du service. Et l’ouverture aux autres. Tout le contraire de la séduction qui est une emprise à fin de domination et qui garde pour soi
A l’époque de Jésus, les disciples choisissaient eux-mêmes leur maître spirituel : « Maître, je te suivrai partout où tu iras » (Lc 9, 57). Aujourd’hui encore, tout fidèle est libre de choisir un prêtre, père spirituel, confesseur. L’équilibre est difficile à tenir entre cette liberté et le lien, l’appartenance par le baptême à une communauté spirituelle, paroissiale ou religieuse.
Séduire signifie emmener à l’écart. « Mon épouse infidèle, je vais la séduire, je la conduirai au désert et je parlerai à son cœur » (Os 2, 16). Séduire son épouse infidèle, c’est la ramener sur le bon chemin. « J’ai contre toi que ton premier amour tu l’as abandonné », dit l’Esprit à l’Eglise (Ap 2, 4), et le désert chez Osée figure le silence de la prière
Jésus choisit ses disciples : il est Dieu, créateur et sauveur. Les prêtres ne choisissent pas les baptisés ni les croyants ! Nous avons pour mission de les guider, avec prudence, sans nous substituer à Dieu, en nous gardant de toute manœuvre de séduction. Notre rôle est de ramener à Dieu et à l’Eglise tous ceux qui sont à l’écart.
Nous avons la chance d’avoir parmi nos paroissiens une femme médecin, psy et catholique, qui s’est spécialisée depuis une vingtaine d’années en matière d’abus, sexuels, psychologiques, spirituels. Elle a été invitée par les responsables des congrégations religieuses pour les aider à rappeler les règles de l’accompagnement spirituel (son texte est sur le site de la Documentation Catholique). Ces règles définissent la juste distance entre l’accompagnateur et l’accompagné, distance physique qui exige qu’il n’y ait aucun contact physique, distance psychologique et spirituelle qui préserve la liberté de la personne accompagnée. L’accompagnement spirituel n’est pas un partage d’amitié mais une guidance inspirée dont le but est que la personne avance librement dans son chemin de foi et d’union à Dieu.
La personne accompagnée donne sa confiance à la personne qui l’accompagne : celle-ci en prend la responsabilité. La relation n’est plus dès lors ‘librement consentie’ car tout accompagnateur sait les risques de transfert, attachement, projection qui peuvent se produire. C’est à lui de les gérer dans le respect de la personne accompagnée. Le secret lie et oblige l’accompagnateur mais pas l’accompagné qui peut parler de cet accompagnement à qui il le souhaite, et en vérifier le contenu.
C’est une notion délicate que l’amitié spirituelle avec un prêtre. Je dis parfois qu’un prêtre peut devenir votre ami quand il n’est plus votre curé, votre confesseur ou votre aumônier, quand il n’est plus en situation d’autorité. C’est au moment où Jésus quitte ses disciples qu’il les appelle « mes amis, parce que tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître » (Jn 15, 16), entendez : pour qu’à votre tour vous conduisiez vos frères à Dieu.
Le propre de l’amitié est de ne pas nous laisser ni tenir à l’écart. Au contraire de la séduction dont c’est le maître-mot, l’écart. Saint Paul, dont nous avons fêté ce 25 janvier la conversion, ne cherchait pas à plaire. C’est un critère de l’appel par Jésus de ses disciples : des hommes qui étaient tout sauf séduisants, socialement et intellectuellement. C’est aussi la raison pour laquelle le message du Christ prend cette forme exigeante du commandement et du sacrifice : « Mon commandement le voici : il est de vous aimer les uns les autres comme je vous ai aimés » (Jn 15, 12) – jusqu’à la mort sur la croix.
Comment reconnaît-on un séducteur ou une séductrice ? Par le lien privilégié et exclusif qu’il ou elle essaye d’établir avec vous. Le serpent qui était rusé dit à la femme : « Alors, Dieu a dit : Vous ne mangerez pas de tous les arbres du jardin ? » Quelle injustice ! Comparez avec la parole de Jésus : « Convertissez-vous, car le royaume des Cieux est tout proche ». Traduisons : vous ne pouvez pas continuer comme ça ; il faut changer.
Lorsqu’il a présenté ses vœux aux cardinaux de la Curie, le Pape François, après les avoir secoués les années précédentes, a fait le point sur les réformes en cours et la nécessité de ces changements. Il a cité le saint cardinal Newman : « Ici, sur terre, vivre c’est changer, et la perfection est le résultat de nombreuses transformations ». Le changement n’a pas de valeur en soi ; il est une caractéristique de notre vie mais n’est vivable que si nous mettons au centre de tout la stabilité de Dieu. D’où la prière de Newman : « Il n’y a rien de stable, en dehors de toi, Ô mon Dieu. Tu es le centre et la vie de tous ceux qui changent, qui se confient en toi comme leur Père, qui ont les yeux tournés vers toi et sont fiers de se remettre en tes mains. Je sais, mon Dieu, que si je veux voir ta face, je dois changer ».
Ajoutons ceci, après le caractère permanent des changements, et la seule possibilité de les vivre en prenant appui sur Dieu, le 3èmeélément fondamental est que ce changement ne soit pas extérieur, matériel ou technique, mais soit ce que la foi chrétienne appelle conversion : une transformation intérieure.
« Au moment de la conversion, raconte Newman, je n’ai pas eu conscience d’un quelconque changement, intellectuel ou moral, qui soit advenu dans mon esprit… il me semblait retourner au port après une navigation orageuse ; et dès lors, mon bonheur a continué sans interruption jusqu’aujourd’hui ». Il rejoignait l’expérience de saint Augustin : je te cherchais au dehors et tu étais au-dedans de moi.
La paix que le Seigneur donne, qu’il nous donne à partager entre nous, est une paix intérieure. Il est rare que nous ayons à choisir entre la mort et la vie ; plus fréquemment nous avons à choisir entre la séduction ou la paix. Est-ce que c’est séduisant, excitant ou est-ce que c’est constructif et nourrissant ?
Père Christian Lancrey-Javal, curé
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