Dimanche de l'Epiphanie - 5 janvier 2020

Mt 2, 1-12

 

Ces Mages ont un inconvénient.
Il n’est pas d’être des hommes de science, des savants : au contraire cela leur a permis de suivre l’étoile et de trouver l’Enfant-Jésus.
Il n’est pas d’être riches : cela leur a permis d’étudier, de voyager, d’être généreux, de faire des cadeaux somptueux !
Il n’est pas d’être des étrangers : au contraire cela fait de l’Eglise une assemblée universelle, catholique, ouverte à tous.
Non, le problème de ces rois mages est que ce sont des hommes, mâles, des hommes et que des hommes. C’est une part des problèmes que nous rencontrons avec les migrants quand ce ne sont pas des familles comme la sainte Famille a été une famille de migrants, quand ce sont des hommes qui par leur culture ou leur inculture refusent l’égalité de l’homme et de la femme, qui est une loi fondamentale de notre pays, une invention chrétienne, une exigence du Christ.
Vous me permettrez en ce jour de mettre de côté ces trois hommes, si savants, si riches et si respectables soient-ils pour commencer l’année avec trois femmes, des reines chacune à leur façon, la Vierge Marie, dont nous avons fêté au 1erjour de l’année, le 1erjanvier la Maternité divine, sainte Geneviève, dont la fête était vendredi 3 janvier, et qui sera pour nous la star cette année pour le 1600èmeanniversaire de la naissance, et sainte Clotilde qu’il faut associer à sainte Geneviève dans la conversion de Clovis.
Toutes les trois ont contribué à faire de la France un pays chrétien, un pays d’identité, d’origine, d’histoire, de culture et de sensibilité chrétiennes. La crise que nous vivons est une crise d’identité.

Marie, Geneviève et Clotilde se sont prosternées devant l’enfant-Jésus. A leur époque, on ne se prosternait pas devant un enfant : le mot grec pour dire l’enfant est utilisé pour l’esclave, le serviteur, un peu comme naguère dans les cafés on appelait le serveur ‘garçon !’, d’un mot qui voulait dire ‘valet’, un employé subalterne. Les enfants à l’époque n’avaient pas plus de droits que les embryons aujourd’hui.
C’est tout l’intérêt de la figure de sainte Geneviève, patronne de Paris et Nanterre, symbole de résistance aux barbares : qui sont-ils aujourd’hui, qu’est-ce pour vous qu’un barbare ? Diriez-vous que le roi Hérode est un barbare, qu’on appelait Le Grand, qui vivait à Jérusalem entouré de prêtres et de scribes, autant de sages et de savants ? Ce n’était pas un barbare, lui le massacreur des Saints Innocents ?

Jusqu’au mois dernier, un de mes amis prêtres, hongrois, venait chaque samedi célébrer la messe aux Hespérides pour les résidents qui ne peuvent plus marcher jusqu’à l’église. Après dix ans passés à Paris, il est reparti brutalement sur une incompréhension avec le Diocèse : c’est parce que je suis un étranger que je suis mal traité, m’a-t-il dit ; non, lui ai-je répondu en vain, c’est parce que tu t’es mal expliqué que tu te sens incompris. Il avait deux qualités majeures : un amour profond pour la Vierge Marie et un amour aussi grand pour les pauvres qui venaient le voir en nombre à la Basilique du Sacré Cœur où il était chapelain. Il lui manquait cette qualité qui fait la force de sainte Geneviève : elle prenait le temps d’expliquer.

Telle qu’on vient de l’entendre, la rencontre des Mages et du roi Hérode a été expéditive : elle s’est faite dans la précipitation. Ce n’était pas comme aujourd’hui sous la pression publique, et encore il faudra bien un jour s’accorder sur son pouvoir réel : la pression publique agit davantage comme un révélateur des faiblesses et des incohérences du pouvoir politique que comme un pouvoir réel, à part entière.
Pourquoi le roi Hérode a-t-il convoqué les mages en secret ? Pourquoi leur a-t-il proposé de revenir le chercher pour aller se prosterner lui aussi devant l’enfant alors qu’il n’en avait pas l’intention – et dire cela n’est pas lui faire un procès d’intention mais faire preuve d’un minimum de lucidité : les Mages l’ont-il cru ? Oui puisqu’ils ont dû être empêchés, avertis en songe de ne pas retourner chez lui. Pensez au nombre d’émissaires dans l’Histoire qui ont été persuadés qu’on peut faire confiance à des dictateurs.

Deux épisodes ont rendu célèbre sainte Geneviève : son calme à l’arrivée des troupes d’Attila en 451 quand elle a exhorté à prier plutôt que de fuir. Elle est par son sang-froid, sa maîtrise de soi, un modèle politique.
L’autre épisode a lieu en 475, alors que la ville de Paris est assiégée par Childéric, le père de Clovis : elle fait forcer le blocus, organise le ravitaillement avec du blé provenant de Brie et de Champagne. Vous trouverez ici ou là des textes disant : ‘femme de caractère, elle brave l’autorité de l’évêque en donnant elle-même des ordres au clergé’, en réalité c’est le contraire : c’est le clergé de l’époque qui a fait preuve de caractère en obéissant à cette femme plutôt que d’attendre en vain. C’était un bon clergé qui priait la Vierge Marie.

Il faut ajouter un 3èmeépisode, peut-être le plus important. Vingt ans plus tard, la même armée de barbares, conduite par Clovis, s’est présentée devant Paris : sainte Geneviève a posé comme condition à son entrée la conversion de Clovis à la foi catholique. Pas un vague baptême à la sauce arienne, l’arianisme étant la propension à exagérer l’humanité de Jésus, comme chaque fois que nous disons qu’il est ‘gentil’ – mais un vrai baptême qui suppose l’adhésion au Credo de l’Eglise, la confiance dans des affirmations de foi qui nous dépassent.
Sainte Geneviève a été la première à avoir placé Clovis devant le choix de son Salut. Et Clovis l’a reconnu qui fit bâtir la basilique sainte Geneviève et fut inhumé à ses côtés. Que pouvons-nous apprendre de sainte Geneviève ? A ne pas séparer la foi de la charité : la foi à exiger de la part des puissants et la charité à reprendre constamment.

C’est là qu’intervient sainte Clotilde, deuxième épouse de Clovis, grand-mère de saint Cloud. Sainte Geneviève est une héroïne de la vie consacrée ; sainte Clotilde, de la vie conjugale et de l’intimité. Entre elles, pas de rivalité ni de supériorité, mais l’équilibre dont la synthèse est la Vierge Marie. Nous avons besoin des deux : de la vie consacrée et de la sainteté familiale de l’intimité. Le Chrétien s’oppose aux barbares et accepte de les côtoyer. Le reproche a été adressé à Jésus : il mange avec les pécheurs !

Peu avant Noël, je suis allé célébrer une messe d’obsèques en l’absence de corps dans la chapelle des Hespérides, la pièce au sous-sol qui tient lieu d’oratoire. La défunte avait donné il y a trois quarts de siècle son corps à la science. Les trois générations suivantes étaient là, avec une foi décroissante et même d’extinction avec maintenant plus aucun baptisé, mais avec deux Musulmans et un apostat, un baptisé ayant abjuré pour épouser une Musulmane. Ils ont tous assisté avec le plus grand respect à cette messe. Il y a juste eu un petit drame avant la messe quand les filles de la défunte m’ont demandé si leurs petits-enfants pourraient dire quelques mots à la fin ? ‘Non, ai-je dit, plutôt au pot après, à l’étage, pas dans la chapelle puisqu’ils ne sont pas baptisés’. C’était un peu rude : l’une a compris, l’autre a fait la tête toute la messe. Et puis finalement, presque malgré moi, peut-être inspiré, j’ai donné la parole aux petits-enfants qui ont fait un témoignage très charmant et tout le monde est parti content. De sainte Geneviève j’ai appris à résister, de sainte Clotilde à concilier.

Voilà un bon programme pour cette année : affirmer notre foi et faire preuve de charité.

Père Christian Lancrey-Javal, curé

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